La ressorti du film Les Arnaqueurs (Stephen Frears, 1990) chez ESC Éditions nous permet de replonger avec gourmandise dans une œuvre souvent oubliée de son auteur à la filmographie aussi variée qu’intemporelle. Probablement son film le plus hollywoodien…

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American Bluff
Stephen Frears, c’est d’abord une carrière longue de presque soixante ans et d’une vingtaine de long-métrages. Une filmographie se frottant au biopic, à l’adaptation littéraire, au film d’horreur ou au film social, et une œuvre d’une cohérence rare décortiquant les relations humaines avec un regard plutôt sombre. C’était le cas de son chef-d’œuvre Les Liaisons dangereuses (1988) adapté de Choderlos de Laclos, où la Marquise de Merteuil et le Vicomte de Valmont se livraient à une lutte sans merci au détriment de Madame de Tourvel. Son film suivant, Les Arnaqueurs (1990), qui nous intéresse aujourd’hui, reprend plus ou moins les mêmes mécaniques. En suivant un trio – deux femmes et un homme, encore – il dissèque leurs relations et les jeux de pouvoir entre chacun : Roy est un petit escroc sans envergure arnaquant les gens pour gagner quelques dollars. Sa petite amie, Myra, a elle aussi un lourd passif dans la magouille sans que Roy ne le sache. Un jour, Roy se blesse suite à une escroquerie qui tourne mal. Sa mère, Lilly, qui travaille pour un bookmaker mafieux, vient lui rendre visite. Elle rencontre Myra et lui voue rapidement une haine féroce.

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Le script de Donald E. Westlake – scénariste mais surtout dramaturge américain souvent adapté par le septième art avec Made in USA (Jean-Luc Godard, 1966) ou Payback (Brian Helgeland, 1999) – reprend la trame du roman de Jim Thompson, lui aussi très adapté au cinéma avec Guet-apens (Sam Peckinpah, 1972), Série Noire (Alain Corneau, 1979), Coup de torchon (Bertrand Blier, 1981) ou The Killer Inside Me (Michael Winterbottom, 2010). Il l’adapte avec un humour certain le rapprochant des frères Coen et un goût prononcé pour le film noir que la forme vient appuyer. C’était d’ailleurs l’époque d’un renouveau pour le genre, insufflé par De Palma, Michael Mann ou Alan Parker dès la fin des années 80. Dans Les Arnaqueurs, les dialogues et les bons mots fusent, offrant d’emblée une porte d’entrée réjouissante dans ce monde cynique pour, au final, nous emmener dans les ténèbres des relations toxiques unissant nos protagonistes. C’est particulièrement réussi, d’autant que Westlake n’élude aucun non-dit – notamment l’inceste – et ne cherche pas à rendre ses personnages aimables. Ici l’attache au trio ne se créé pas par l’empathie mais par la curiosité malsaine de les voir punis pour leurs méfaits et leur pouvoir de nuisance.
Frears fait le choix de styliser le plus possible. L’introduction, filmée comme un film de casse avec ses split-screens suivant chacun des personnages, donne un ton frais et lumineux qui peu à peu, à mesure que l’on avance dans le scénario, s’assombrit. Finalement, le cinéaste britannique est assez peu intéressé par les combines et le fruit des arnaques de ses protagonistes qu’il laisse hors-champ. Il préfère largement étudier les rapports entre Roy, Lilly et Myra, de la même façon qu’il avait disséqué les relations du trio des Liaisons dangereuses. Tout dans sa mise en scène est à l’avenant de cette volonté de noirceur et de vice : la musique, particulièrement, devient de plus en plus inquiétante. Signée par le vétéran Elmer Bernstein, à qui l’on doit les scores des Dix Commandement (Cecil B. DeMille, 1956) ou de La Grande Évasion (John Sturges, 1963), elle offre des sonorités de cuivres quasiment anachroniques renvoyant aux grandes heures du film noir. En fait, pour lui qui était avant son adaptation de Laclos plutôt rompu à un cinéma réaliste, Les Arnaqueurs sonne comme le projet le plus américain de la carrière de Stephen Frears tant il use comme jamais des outils et d’un héritage purement hollywoodiens.
Mais surtout, le long-métrage est sublimé par un casting de haute volée puisque rien que le trio de tête est composé d’Anjelica Huston, d’Annette Bening et de John Cusack. Loin de l’image baroque et glaciale de Morticia Addams de La Famille Addams (Barry Sonnenfeld, 1991), la fille de John Huston compose un personnage ambigu que sa richesse d’interprétation arrive à rendre tour à tour antipathique ou attachante. Annette Bening, qui venait de jouer la Marquise de Merteuil dans Valmont (Milos Forman, 1989), le projet concurrent au film de Frears, impose un charme fou à une Myra qui avance masquée. Quant à John Cusack, qui retrouvera le cinéaste dix ans plus tard pour High Fidelity (2000) et dont le talent n’a plus trouvé de projets hauts de gamme depuis au moins dix ans, son rôle préfigure celui de Craig Schwartz qu’il jouera dans l’inoubliable Dans la peau de John Malkovich (Spike Jonze, 1999). L’acteur n’a pas son pareil pour jouer la veulerie et la loose puissance mille. Pour le reste, Stephen Frears s’entoure d’un ensemble de gueules du cinéma US comme Pat Hingle – le Commissaire Gordon de Batman (Tim Burton, 1989) – Charles Napier – vu dans Rambo 2 : La Mission (George Pan Cosmatos, 1985).
Produit par Martin Scorsese qui pris entre l’un de ses chefs-d’œuvre Les Affranchis (1990) et son remake des Nerfs à vifs (1991) n’avait pas le temps de le réaliser lui-même, Les Arnaqueurs s’avère être une petite merveille d’écriture et de sombre réflexion sur l’humanité que l’édition fournie par ESC permet de découvrir sous un jour nouveau. Le nouveau scan 4K du négatif original – celui que Criterion avait exploité aux États-Unis – offre un piqué extraordinaire à une image impeccable. Quant au son, il permet d’apprécier au mieux, grâce à des pistes DTS HD Master Audio 5.1, la bande originale. Du côté des suppléments on note un entretien, réalisé spécialement pour cette ressortie, avec l’historien du cinéma Nachiketas Wignesan qui revient sur le film et sur l’œuvre en général du romancier Jim Thompson. Un making-of, déjà présent dans l’édition DVD sorti il y a une quinzaine d’années, raconte la genèse du projet. Si vous êtes passionné de film noir, ce cinéma hollywoodien pur sucre ou de la carrière du grand Stephen Frears, (re)voir Les Arnaqueurs devrait vous réjouir !