The Gorge


Sorti directement sur Apple TV+, le nouveau film de Scott Derrickson – à qui l’on doit Sinister (2012) ou Doctor Strange (2016) – propose un concept intriguant à base de monstres, love story et complots d’État. Porté par deux stars en vogue, The Gorge (2025) réussit-il à transformer l’essai ou se crashe-t-il en plein vol ?

Une silhouette d'homme se dessine dans la pénombre, ce qui semble un bâtiment abandonné, juste éclairé par une faible lumière blanche derrière l'homme ; plan issu de The Gorge.

© Apple TV

Saccage au centre de la terre

Deux cinéastes cohabitent en Scott Derrickson ; l’un avide de cinéma d’horreur, l’autre ayant la tentation du grand spectacle. Pour le premier, cela a donné des petites réussites telles que Sinister (2012) ou plus récemment Black Phone (2021). Pour le second, Le Jour où la Terre s’arrêta (2008) et Doctor Strange (2016) dressent un bilan plus contrasté. Clairement, The Gorge (2025), son dernier film, tend vers les penchants les plus mainstream du bonhomme, même si quelques notes horrifiques persistent ici et là. Deux mercenaires sont recrutés pour faire les guets, chacun dans une tour de part et d’autre d’un grand gouffre, afin d’éviter qu’une menace ne surgisse des profondeurs. Alors qu’ils ont l’interdiction de rentrer en contact, la jeune femme et le jeune homme arrivent à communiquer à l’aide de leurs jumelles et finissent par se lier d’amitié – voire plus si affinités. Mais pendant ce temps, le danger du gouffre s’amplifie et nos deux héros aux cœurs tendres devront s’allier pour la contenir et la détruire. Nous parlions de concept intriguant dans le chapeau de cet article et même s’il ne brille pas par son incroyable originalité, c’est plutôt le mélange des genres – avec cette histoire d’amour au beau milieu du charnier – qui rendait le projet presque improbable. Sorti le 14 février sur Apple +, la plateforme a misé pleinement sur l’aspect love story pour vendre un film de science-fiction/horreur un jour de Saint Valentin, ce qui titille forcément.

Anna Taylor Joy caresse la joue de Miles Teller, tous deux en tenue d'agent d'élite, au pied d'une façade montagneuse, dans le film The Gorge.

© Apple TV

Et puis le nom de Derrickson est aussi une promesse tant le réalisateur arrive, dès qu’il mise sur un concept, à rendre ses films alléchants. Sauf que… C’est oublier que les concepts réussissent à Scott Derrickson lorsqu’il verse dans le petit budget et dans l’horreur pure. Son imparfait mais très fun Black Phone en témoignait encore dernièrement : avec son parti pris de huis clos, l’homme est habile et capable de tenir la distance sur ce type de production resserrée. À l’échelle d’un blockbuster, ce qu’est The Gorge, c’est bien plus compliqué. On retrouve pourtant, dans la première heure, une économie des décors et un casting minimaliste, toutefois le cinéaste, obligé à un moment ou à un autre de répondre aux tenants et aboutissants de son histoire, perd peu à peu le fil et grille toutes ses cartes pour un grand spectacle pas franchement convaincant malgré quelques débuts d’idées de directions artistiques lovecraftiennes. Quitte à embrasser les moyens d’une grosse production, le réalisateur aurait pu, ou plutôt dû, soigner la forme et proposer des visuels marquants. Hélas on se retrouve, une fois dans la fameuse gorge, face à des brouillards et des filtres de couleurs peinant à masquer un manque cruel de sens du spectacle. C’est un peu le syndrome des séries Star Wars à titre de comparaison ; on cache la misère grâce à quelques artifices visuels, non par manque de moyen mais par faute d’ambitions. On pense beaucoup, par effet de contraste, à la réussite formelle d’Annihilation (Alex Garland, 2018) qui, avec un budget sans doute moindre, avait su davantage imprimer la rétine…

Sigourney Weaver descend d'un hélicoptère dans le film The Gorge.

© Apple TV

L’histoire d’amour ne viendra pas sauver l’ensemble, mais elle demeure le seul aspect constant de The Gorge. Facile voire niaise, elle finit tout de même par nous emporter faute d’autres branches auxquelles se raccrocher, et se tient jusque dans les dernières minutes du long-métrage. Scott Derrickson transpose tous les codes de la comédie romantique classique dans son univers de SF décomplexée avec même quelques clins d’œil, pas très subtils, à Love Actually (Richard Curtis, 2003) et ses petits panneaux passionnés. C’est surement là la seule audace du long-métrage : arriver à mixer une amourette dans un monde pré-apocalyptique. Le mérite revient en grande partie à Anya Taylor-Joy et Miles Teller dont l’alchimie ne fait aucun doute quand bien même chacun se contente de rejouer leurs partitions cools et bad-ass de Furiosa : Une saga Mad Max (George Miller, 2024) et Top Gun : Maverick (Joseph Kosinski, 2022) sans trop se fouler. Leurs charismes parviennent à compenser une écriture et une caractérisation pas bien folichonnes. Du côté des bons points, on notera également une apparition en forme de caution SF de Sigourney Weaver qui, même si elle n’a pas trop l’air de savoir ce qu’elle fait là, est forcément toujours convaincante. On relèvera aussi une bande originale signée Trent Reznor et Atticus Ross, du groupe Nine Inch Nails, fidèles collaborateurs musicaux de David Fincher qui n’ont visiblement pas eu le même flair en s’engageant ici.

The Gorge peut se vivre comme un gentil petit plaisir coupable du dimanche soir, lové sous un plaid avec son conjoint ou aviné avec ses copains grâce à une dimension involontairement drôle – ces citations de Jean-Paul Sartre entre deux salves de M16 valent le détour ! – renforcée par un final abracadabrantesque où à la fois tout et rien n’est expliqué quant aux sombres desseins de la compagnie aux origines du mal. Une série B survendue et anachronique avec un pitch transpirant les années 80 ou 90, dont on ne retiendra pas grand-chose sinon que Scott Derrickson devrait se concentrer pour de bon à l’horreur – les Hommes-Creux, la menace de The Gorge, montrent qu’il est plus à l’aise à instiller la peur – et délaisser les grosses productions. Black Phone 2 (2025), prévu pour octobre prochain, viendra, on l’espère, redorer son blason.


A propos de Kévin Robic

Kevin a décidé de ne plus se laver la main depuis qu’il lui a serré celle de son idole Martin Scorsese, un beau matin d’août 2010. Spectateur compulsif de nouveautés comme de vieux films, sa vie est rythmée autour de ces sessions de visionnage. Et de ses enfants, accessoirement. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/rNJuC

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