Avec Une Femme en jeu, sa première réalisation qui vient de sortir sur Netflix, la comédienne Anna Kendrick surprend son monde en s’attaquant à une sombre histoire de serial killer invité sur un jeu télévisé type Tournez Manège. Un concept qui a attisé notre curiosité, forcément, mais qui nécessitait de larges épaules pour mener à bien la chose jusqu’au bout…
Ingrid, est-ce que tu saignes ?
Netflix a toujours le chic pour ressortir de vieux tueurs en série des archives américaines. On l’a bien vu avec le succès des séries de Ryan Murphy comme Dahmer (2022) ou la multitude de documentaires alimentant les colonnes de la plateforme. Après les frères Menendez, Xavier Dupont De Ligonès ou Ted Bundy, les décideurs remettent une pièce dans la machine du true crime avec Une Femme en jeu qui revient sur la trajectoire macabre de Rodney Alcala. Ce dernier a la particularité – à l’instar de François Vérove, notre « Grêlé » national, vu chez Nagui – d’avoir participé à une émission sur une chaine nationale américaine très populaire dans les années 70, The Dating Game. C’est donc là toute la promesse de ce premier coup d’essai d’Anna Kendrick : faire de ce passage télé un vrai enjeu de cinéma. C’est en tous cas ce que suggère toute la promo du film entre affiche rétro montrant le plateau et bande-annonce se limitant aux coulisses du programme télévisuel. La rencontre entre Cheryl Bradshaw, aspirante comédienne candidate à ce Tournez Manège yankee, et Rodney Alcala, sous l’œil des caméras, était à tout le moins la perspective d’un concept malin et prenant.
Toutes ces bonnes idées de départ sont toutefois contrariées par le choix de montrer le parcours criminel d’Alcala en alternance avec le récit au présent. Si l’on comprend la nécessité de montrer la dangerosité de l’individu dans une séquence introductive, nous sommes moins convaincus de l’utilité d’en faire un fil rouge trahissant le concept promis par le long-métrage : une unité de temps et de lieu pour le moins originale. C’est d’autant plus regrettable que c’est bien sur le plateau et ses alentours que les meilleures séquences dont lieu, tant au niveau du sous-texte que du frisson en lui-même. Anna Kendrick, qui joue le rôle de Cheryl, profite du cadre offert par son histoire – une société du spectacle dans les années 70 largement dominée par les hommes – pour commenter le sexisme ordinaire dont l’émission est la plus claire incarnation. La femme est un bout de viande ou un trophée selon les codes, pas si lointains au demeurant, du patriarcat, et l’actrice-réalisatrice en joue habilement, notamment lorsque son personnage reprend le contrôle et s’écarte du chemin que les hommes voulaient lui assigner. Ce petit message n’est en rien éloigné du propos global puisqu’Alcala, le tueur en série, est bien, avant tout, une menace pour le genre féminin.
La rencontre entre Cheryl et Alcala est donc une rencontre au sommet entre un féminisme naissant et la violence des hommes incarnée. Et il faut reconnaitre que, dès lors que le jeu est terminé, la mise en relation des deux personnages fonctionne à merveille. Lors d’une scène où ils prennent un verre dans un bar attenant au plateau de télévision, tous les mécanismes oppressants de la masculinité toxique se mettent en marche pour se refermer sur Cheryl. Cela passe de la drague lourde à la menace sourde, et c’est plutôt bien vu puisque c’est ici, à ce moment précis du récit, qu’Anna Kendrick arrive à mêler le message de son film à une forme, la tension, dans une parfaite harmonie. Aussi, le personnage de Nicolette Robinson, qui reconnait le tueur alors qu’elle est dans le public, s’il parait quelque peu forcé en termes de vraisemblance a une vraie utilité dans le récit puisqu’il souligne à lui seul la dangerosité potentielle d’Alcala. Beaucoup plus que les nombreux flashbacks qui, on le perçoit, ont plus la fonction d’étirer la durée du film artificiellement que de nourrir une figure qui gagnait à rester plus intangible.
C’est un petit aveu d’échec pour Une Femme en jeu qui promettait un huis clos sur un plateau de télévision et qui n’a pas d’autres choix que de trahir son concept pour meubler – au contraire d’un Late Night with the Devil (Cameron & Colin Cairnes, 2024) par exemple. D’autant que ces fameuses scènes où Alcala tue les femmes, à qui il promet de jolis portraits photographiques, bien qu’elles aient la pudeur de ne pas trop montrer la violence des meurtres, peinent à convaincre sur le plan même de l’angoisse. La faute, peut-être, à une interprétation trop aléatoire de Daniel Zovatto dans la peau du serial killer, qui alterne entre surjeu et trop de retenue. Celles qui tirent leur épingle du jeu sont incontestablement Nicolette Robinson, Autumn Best dans le rôle d’une survivante à Alcala et Anna Kendrick. En interprétant trois visages d’une féminité forte mais que les hommes n’écoutent pas – le tueur aurait pu être arrêté une dizaine de fois si la police avait pris le temps d’écouter et d’enquêter – elles portent le film. Une Femme en jeu est donc une promesse à moitié tenue qui, même s’il risque de truster les premières places du classement Netflix quelques semaines, devrait demeurer un contenu true crime de plus dans les limbes du catalogue du géant de la SVOD. On suivra néanmoins les prochains travaux d’Anna Kendrick qui, pour un premier essai, prouve qu’elle a des choses à dire et à montrer.