Après être passé sous les caméras de René Clément, Wim Wenders ou encore du regretté Anthony Minghella, le personnage de Tom Ripley, sorti de l’imagination de Patricia Highsmith, revient dans un format sériel, forcément adapté à ses origines littéraires. Sous les traits du toujours fascinant Andrew Scott, l’escroc/meurtrier prend une toute nouvelle dimension…
Le faux américain
On connait tous l’histoire. Celle de Plein Soleil (René Clément, 1960) et du Talentueux Mr Ripley (Anthony Minghella, 1999) qui racontent les méfaits de Thomas Ripley, un petit escroc new-yorkais parti en Italie, missionné pour faire revenir Dickie Greenleaf qu’il finira par assassiner avant d’usurper son identité. On connait tous la beauté d’Alain Delon, et dans une moindre mesure celle de Matt Damon sous les traits du faussaire. Le cinéma a même adapté les autres aventures de Ripley : on se souvient de L’Ami américain (Wim Wenders, 1977) où c’était cette fois Dennis Hopper qui l’incarnait, de Ripley’s Game (Liliana Cavani, 2002), avec John Malkovich en tête d’affiche, ou de Mr Ripley et les ombres (Roger Spottisswoode, 2005), où le trop rare Barry Pepper lui prêtait ses traits. Alors que reste-t-il à raconter ? L’explosion du format série est, premier constat, une occasion en or de revenir sur les nombreuses zones d’ombres de la trajectoire de Ripley. En effet, bien que Plein Soleil soit un film magnétique et un pur objet de cinéma à part entière, certains aspects du roman de Patricia Highsmith avaient dû être mis de côté, logiquement, pour rendre le récit plus lisible sur la durée d’un long-métrage. Aussi ce travail d’adaptation demandait, en son temps, une grande suspension d’incrédulité devant des facilités scénaristiques qui n’en sont plus ici avec Ripley.
Alors la série de Steven Zaillian – scénariste de La Liste de Schindler (Steven Spielberg, 1993), Gangs of New-York (Martin Scorsese, 2002) ou de Millénium : Les Hommes qui n’aimaient pas les femmes (David Fincher, 2011), excusez du peu – prend le temps d’installer la psychologie de Tom Ripley et les enjeux entre lui et les différents personnages. Et si le faussaire est toujours cette page blanche indéchiffrable, on lui devine enfin un passé, des désirs et une certaine humanité. L’interprétation d’Andrew Scott y est pour beaucoup tant il rend son personnage tour à tour inquiétant, pathétique et même parfois drôle. Tout passe par son regard énigmatique qui nous avait séduit dernièrement dans Sans jamais nous connaitre (Andrew Haigh, 2024). Le fait qu’il soit bien plus vieux que n’est censé l’être Ripley dans le roman n’est jamais un problème puisque la série se concentre moins sur la beauté et la jeunesse de son antihéros que sur ses capacités de mimétisme et d’adaptations aux situations les plus périlleuses sans jamais lui enlever un pouvoir de magnétisme fascinant. De toutes les scènes, Andrew Scott porte son personnage et une bonne partie de la série avec un talent incroyable – on note également les excellentes prestations de Dakota Fanning, Johnny Flynn ou de John Malkovich venu pour le clin d’œil. Certaines séquences, où Ripley est acculé dans un interrogatoire par exemple, sont comme autant de morceaux de bravoure en termes d’interprétation.
Steven Zaillian, qui réalise tous les épisodes, a aussi l’intelligence de proposer un véritable parti pris de mise en scène. À l’opposé de Plein Soleil et de l’éclat de son Eastmancolor – un procédé de couleur de Kodak moins connu que le Technicolor – Ripley nous offre un noir et blanc radical et somptueux pour illustrer les pérégrinations de Tom. Si cela peut paraitre un peu tape-à-l’œil et accessoire dans les premières minutes, ce choix esthétique prend sens à mesure que la série avance ; nous sommes clairement dans une série aux accents film noir qui exagère volontairement les contrastes et les jeux de lumière pour tendre vers un rapprochement à l’art pictural dans son ensemble. Le Caravage est ouvertement cité comme objet de fascination pour Ripley qui, dans un sens, le poursuit et reproduit sa trajectoire – le peintre avait tué avant de s’enfuir, lui aussi. Steven Zaillian, en plus de son noir et blanc magnifiant toutes les villes italiennes, ces palazzi et ces ruines explorées, joue sur un procédé de mise en scène basé sur des plans fixes et leur répétitivité. Alternant les plans très larges et les inserts très rapprochés, la caméra est toujours posée aux exacts mêmes endroits dans les différentes pièces, d’un épisode à l’autre, rendant le quotidien de Tom Ripley rompu à ces quelques repères. Un travail qui évoque Jeanne Dielman, 23, Quai du commerce, 1080 Bruxelles (Chantal Akerman, 1976) et ce sentiment que si, tout à coup, un petit grain de sable vient enrailler la machine, c’est toute la vie du faussaire qui s’écroule.
Passé ce qu’il y a de plus visible dans la série Ripley – son comédien principal et son esthétique donc – il faut absolument rendre hommage à ses qualités d’écriture. Là encore, Steven Zaillian fait le choix de se distinguer de ses ainés en creusant davantage les obsessions de Tom – notamment son attirance physique pour Dickie – et les autres personnages de l’histoire. Tous les protagonistes, du simple réceptionniste d’hôtel au policier, sont caractérisés et bénéficient d’une écriture nous les rendant étrangement familiers. C’est là que Zaillian n’hésite pas à distiller quelques petites touches d’humour bienvenue pour faire retomber – un peu – la pression. De même, la série est un petit modèle de storytelling tant elle rend fluide et passionnante la moindre petite action, qu’elle se déroule en simultané dans différentes villes avec différents personnages ou qu’elle raconte la mise au rebut d’un corps. Durant ses huit épisodes de presque une heure en moyenne, Ripley offre de nombreux allers et retours et moults rebondissements alors qu’on ne s’attendait pas à ce que le tournant – le meurtre de Dickie – intervienne si tôt. La richesse de la série est même décuplée par la suite. Et, alors que Ripley devait être une mini-série, on se prend à rêver que Steven Zaillian et Andrew Scott perpétuent la magie pour de nouvelles saisons qui adapteraient les quatre autres romans de Patricia Highsmith. En l’espèce, ce nouveau show disponible sur Netflix est un petit bijou sur lequel tous les superlatifs ne suffiraient pas pour décrire cette singularité et ce sentiment de langueur étouffante qui y règne.