Désert, soleil de plomb, absence de vie, fosse aux lions… The Seeding (Barnaby Clay, 2023) se fait le reflet, pour le meilleur et pour le pire, des angoisses profondes universelles que chacun de nous éprouve sans le dire. Entre claustration, abus, inceste et sacré, un film qui en dit long sur ce vacillement, cette dépossession de soi, cette résignation propres à l’homme civilisé.
Terre-(d’)asile
À travers l’infinité de l’espace et la vastitude du désert, Barnaby Clay invite, aussi brutalement qu’admirablement, à l’introspection dans son premier long-métrage de genre. Quoi de mieux pour faire le point sur ses aspirations, ses regrets et ses besoins qu’une virée atypique dans un désert aride, hostile et dépourvu de vie, qui tourne au cauchemar ? Salué et primé au festival de Gérardmer en 2023, ce survival à l’esthétique léchée et aux allures dystopiques reprend et s’approprie les codes de la folk horror et de l’horreur psychologique, faisant du retour à la vie sauvage le terme d’une déchéance. La rencontre entre Stone (Scott Haze), homme civilisé, égaré et pris au piège dans une cavité rocheuse – extraordinaire prison naturelle – et Alina (Kate Lyn Sheil), femme sauvage aux pratiques renvoyant à l’imaginaire païen et Mère universelle – Gaïa réincarnée –, se déroule dans un monde parallèle aux antipodes des terres fertiles et artificielles domptées par l’homme. Ce choc des cultures permet d’illustrer une adaptation forcée et les conséquences de celle-ci : l’impossibilité de trouver sa place, de se réinventer pour survivre au cœur d’une nature devenue bourreau. L’environnement naturel se fait ainsi l’égal des enfants-tortionnaires qui brutalisent le captif, s’amusent de son désespoir, et de la mère, sirène au chant rassurant et envoûtant lors de son apparition dans l’intrigue, incarnant l’espoir pour mieux l’annihiler. Énigmatique, inquiétant voire monstrueux, le clan, fruit de l’inceste – le film se situant habilement au croisement de La colline a des yeux (Wes Craven, 1977) et de Midsommar (Ari Aster, 2019) –, développe son propre langage, ses coutumes et rites, vivant au gré d’un calendrier lunaire mystique et vouant un culte à une entité inconnue, refusant, tout comme Stone, de s’adapter. Seul Lepus (Thatcher Jacobs), dissident avide de connaissances, se risquera à contrarier sa communauté en tentant de venir en aide au détenu ; son châtiment bouleversant lèvera définitivement le voile sur les mœurs de ces marginaux pervers et incoercibles, et permettra de révéler le lien unissant Alina aux jeunes hommes du désert.
La nature, grandiose, toute-puissante et redoutable – aussi bien en tant qu’ensemble de l’univers qu’essence même de l’humain –, se dresse contre l’homme domestiqué, dépendant de ses congénères, de son mode de vie limitant et de ses habitudes futiles. Les plans d’ensemble et de demi-ensemble, impressionnants par leur composition minimaliste et leurs décors presqu’irréels, aux couleurs contrastées et parfois presque délavées – le bleu de la nuit, intense et froid, s’opposant aux tons chauds de la terre stérile et de la roche brûlée – inscrivent l’intrigue dans un monde à part, « à l’envers » dès ses prémices, où l’homme se trouve entravé entre le sol et le ciel. Originellement réalisateur de clips vidéo, Barnaby Clay réalise des tableaux fondés sur des oxymores visuels et sonores frappants, jouant sur le contraste entre le vivant et l’inanimé, les sons inquiétants et le silence pesant, d’une beauté à couper le souffle comme d’une violence insoutenable, mettant l’accent sur la matière organique et sa décomposition. Les dialogues sont évincés au profit des mouvements et du contact des corps, des regards, des cycles de vie mis en images dans cet espace figé, cristallisé.
Le désert, l’atmosphère de tension et l’isolement qu’il intensifie permettent d’exacerber la violence physique et psychologique : dans cette zone inhabitée, à l’écart de tout et notamment des normes morales et des règles instituées, inceste, meurtre et torture sont de mise. L’aller simple pour l’Enfer expérimenté par Stone – l’onomastique n’étant pas anodine –, à la manière des personnages de The Descent (Neil Marshall, 2005), symbolise à la fois une catabase et une assomption, le héros se prêtant finalement au jeu pervers de cette famille-congrégation pour assurer sa survie, abandonnant peu à peu ses projets d’évasion et sa civilité. Si la chute est physique – et littérale –, elle est aussi mentale : Stone, déshumanisé et déchu, à la manière d’un Sorgoï Prakov (Rafael Cherkaski, 2013), s’oublie et se rend aux tortionnaires, se donne – en se livrant et en procréant –, ne disposant d’aucun autre recours. Leitmotiv du cinéma de genre, le motif de séquestration est ici convoqué dans le but de rendre compte de l’impuissance de l’humain face à sa véritable nature, anti-mythe du bon sauvage désenchanté.