Pour qui ne serait déjà pas séduit par la promesse d’un tel titre, il suffirait de voir l’affiche du film de Joe D’Amato pour se convaincre. Un homme dévorant ses propres entrailles, ça ne se voit pas tous les jours, et ça, le nouvel éditeur Vidéo Popcorn l’a bien compris puisqu’il édite pour la première fois en Blu-Ray cet Antropophagus (1980) dont on ne peut que vous conseiller le visionnage devant une belle assiette de charcuterie…
Salade grecque (non végétarienne)
Resituons d’emblée qui est Joe D’Amato, le réalisateur d’Antropophagus. Né Aristide Massaccesi en Italie dans les années 30, l’homme s’est d’abord illustré comme directeur de la photographie puis, au début des années 70, a commencé son grand œuvre, la réalisation de plus de deux cents films. Une filmographie, décorituqée dans le documentaire Inferno Rosso : Joe d’Amato (Manlio Gomarasca & Massimiliano Zanin, 2023) mêlant pornographie, western et horreur où sous différents patronymes, il aura conservé une certaine constance dans son amour des sujets bas du front. Quand il ne s’employait pas à surfer sur les films des autres – il a réalisé Caligula 2 (1981), suite officieuse du Caligula de Tinto Brass (1979), Ator l’invincible (1982), ersatz fauché de Conan le Barbare (John Milius, 1982) par exemple – il enchaine les tournages comme d’autres respirent, avec une volonté de choquer assez remarquable. Nécrophilie, zoophilie et cannibalisme sont donc autant d’outils à la disposition du cinéaste pour se distinguer de la concurrence. Maintenant que le portrait de ce Max Pécas italien est posé, voyons ce qu’Antropophagus a dans le ventre… Le long-métrage raconte l’histoire d’un groupe d’amis en vacances en Grèce. Ce qui pourrait commencer comme un film de Claude Sautet va vite prendre une tournure plus sanglante puisque les touristes débarquent sur une petite île isolée où les habitants semblent avoir décampé. Pour cause, un psychopathe cannibale rôde en ces lieux. Et il a faim.
Ce qui marque d’emblée, c’est une photographie pas si dégueulasse – eh oui, le cinéaste a commencé dans ce domaine ! – avec des effets d’ombres et lumières un minimum pensés, se mêlant à une mise en scène totalement aux fraises où il est parfois compliqué de se situer. Dans la scène d’intro qui rend hommage – façon polie de ne pas employer le verbe piller – aux Dents de la mer (Steven Spielberg, 1975), il devient très difficile de savoir d’où vient le tueur puisque la caméra le filme en plan large en train de venir de la gauche vers la droite, tandis qu’en plan rapproché, il se déplace en sens inverse. Ce petit exemple pour vous dire à quel point Joe D’Amato en n’a clairement rien à cirer des règles élémentaires du septième art. Pour autant, quelque chose se passe pendant le premier acte du récit. Alors que nous suivons le groupe d’amis s’en aller vers leur destin funeste, se dégage une certaine poésie. Antropophagus prend le temps – parfois trop – d’installer les quelques enjeux entre les personnages. Bon, ils se limitent à des petites guéguerres pour savoir qui va glisser l’autre dans son lit, mais le tout reste assez bien amené pour fonctionner. Il faut dire que le rôle principal est tenu par Tisa Farrow, sœur de Mia, qui, loin d’avoir le talent de son ainée – elle arrêtera sa carrière suite au film de D’Amato – amène une certaine fraicheur.
Pour le reste, le long-métrage prend une tournure purement horrifique à partir du moment où les amis posent le pied sur l’île grecque et Antropophagus y bénéficie d’un cadre assez jouissif pour dérouler les codes du slasher lambda des années 80 : les ruelles et différentes architectures helléniques. Joe D’Amato ne sait pas toujours comment filmer tout cela, bien que le décor fasse clairement office de personnage à part entière. Puis, survient Nikos Karamanlis, le tueur au patronyme moins facile à retenir que Michael Myers ou Freddy Krueger. Sans que son aura vienne tout à coup réveiller le film de l’endormissement, il parvient néanmoins à inquiéter – le b.a.-ba de tout boogeyman qui se respecte ! – et le mini background apporté à ses motivations permet de « justifier » sa folle rage. Les attaques se succèdent donc et le film se met alors en pilotage automatique jusqu’au climax vendu sur son affiche de l’époque : « l’homme qui se mange lui-même ». Tout un programme ! En attendant cela dit, il faudra avaler des couloirs de dialogues et de poursuites sans enjeux. Malgré ses quatre-vingt-douze minutes au compteur, Antropophagus réussit l’exploit de paraitre parfois deux fois plus long. Les dix dernières minutes contenant les séquences les plus choquantes sauront-elles justifier cette longue mise en bouche ?
On y vient. Ce qui a donné à l’objet sa réputation sulfureuse se tient en deux séquences : une scène d’auto-cannibalisme donc, mais aussi un passage où le tueur affamé arrache un fœtus du ventre de sa mère avant de le déguster. Joe D’Amato avait à ce propos contribué à cette notoriété puisqu’il avait propagé la rumeur comme quoi le fœtus était véritable – c’était en fait un lapin dépecé. Il n’y a pas de mauvaise pub ! Nous sommes au début des années 80, Cannibal Holocaust (Ruggero Deodato, 1980) a aussi surfé sur cette pseudo porosité entre snuff movie et cinéma. En fin de compte, à la lumière des évolutions cinématographiques, notamment dans le genre, les scènes en question amusent plus qu’elles ne révulsent puisque les artifices sont visibles à souhait tandis que l’intention – de choquer – prend le pas sur le résultat. Antropophagus, dont la réputation est un peu surfaite, n’en demeure pas moins un document intéressant, quarante-cinq plus tard, tant il cristallise tous les excès de son réalisateur et l’évolution de la censure sur cinq décennies, rappelant également les bonnes vieilles VHS entreposées dans nos vidéo-clubs.
C’est donc avec ce titre que le nouvel éditeur Vidéo Popcorn déboule sur le marché du support physique. Grâce à un crowdfunding, ils ont pu effectuer un vrai travail de restauration sur le négatif original et faire la part belle à des suppléments intéressants. Antropophagus nous apparait donc dans une copie sublime où quelques artefacts viennent par endroits parasiter un peu l’image – ce qui participe au charme du visionnage. Dans un joli coffret cartonné, le film est disponible en trois versions : anglaise, la langue dans laquelle il a été shooté, en italien et en français. Un petit livret de vingt pages centrées sur le réalisateur italien, pape de la bisserie locale, rédigé par David Didelot. Et un entretien de quarante-deux minutes avec Arnaud Bordas vient apporter un regard supplémentaire sur l’œuvre et son contexte de production. Vidéo Popcorn réussit l’exploit, pour une première qui sera suivie de The Borrower (John McNaughton, 1991), de rendre une copie exemplaire pour faire redécouvrir Antropophagus à toute une nouvelle génération d’amateurs de tripailles. Longue vie à eux !