La tétralogie desTempliers de Amando de Ossorio fait partie des incontournables du cinéma d’horreur espagnol des années soixante-dix qui, aussi étonnant que cela puisse paraître, fut l’un des plus prolifiques entre 1968 et 1975. Reprenant quelques grandes lignes de l’histoire, Raffaele Picchio tente l’hommage dans La malédiction des morts-vivants (2020), édité pour la première fois chez nous par Le Chat Qui Fume.
Les Piètres Cavaliers de l’Apocalypse
Dans un futur post-apocalyptique, les options sont limitées en termes de choix de vie. Soit on opte pour l’errance et on tente de dénicher sa subsistance au petit bonheur la chance dans un environnement empoisonné au risque de croiser des bandes armées, des zombies, ou les deux. Soit on trouve refuge dans une forteresse parmi un groupe de survivants, au risque cette fois-ci de subir la loi et les lubies des propriétaires des lieux. Michael et sa fille enceinte Lily vont tomber de Charybde en Scylla en testant successivement ces deux alternatives. En effet, alors qu’ils sont en quête de contrées plus hospitalières, ils sont attaqués par des pillards sans foi ni loi. Par chance, ils sont secourus puis recueillis par une communauté qui vit dans une usine désaffectée et fortifiée, dirigée par Abel, un vieil homme borgne, leur guide spirituel. Hélas ses disciples et lui ne sont pas aussi altruistes qu’ils en ont l’air et lorgnent sur le ventre arrondi de la jeune femme… Alors qu’une éclipse approche, une sombre histoire commencée des siècles plutôt va se se répéter, celle des Templiers aveugles, « héros » maudits de quatre films d’Amando de Ossorio : La Révolte des morts-vivants (1971), Le Retour des morts-vivants (1973), Le Monde des morts-vivants (1974) et La Chevauchée des morts-vivants (1975). Dans le prélude de son film-hommage, Raffaele Picchio met en scène des soldats de Dieu pervertis qui adorent Moloch et pensent éviter la Fin des Temps en lui offrant un nouveau-né en sacrifice. La population surprend les Croisés pendant leur rite satanique et les condamne au bûcher après leur avoir brûlé les yeux.
Il n’y a pas vraiment de suspense ni de grosse surprise tout au long de La malédiction des morts-vivants. On devine assez vite que les agissements apparemment bienveillants d’Abel cachent des intentions qui le sont moins. On n’a pas davantage de mal à comprendre que sa communauté est cannibale et que ses disciples lui sont plus ou moins soumis. Ça ne joue pas très bien (les acteurs ne sont pour la plupart que des amateurs ou des membres de l’équipe de tournage) et ça crie beaucoup (en particulier Lily, dont c’est le point fort), toutefois les hurlements et les scènes gores ne sauraient cacher un budget étriqué : les effets numériques sont très limités (qu’il s’agisse du monastère, de l’éclipse ou des flammes qui embrasent les bûchers, c’est digne d’un jeu vidéo du début du siècle), la Terre d’après le désastre se limite à quelques filtres assez hideux, les scènes sanguinolentes à base de membres découpés et de tripaille ne sont ni crédibles ni effrayantes pour un sou et les masques en latex sont aussi inexpressifs que le jeu de Steven Seagal. On frise souvent le ridicule comme lorsqu’un des fidèles, happé par un Templier zombie, disparaît derrière un pilier et qu’une giclée de sang façon « je jette maladroitement au sol un seau de liquide rouge » se répand sur la place qu’il occupait l’instant d’avant. Si on peut aisément comprendre et pardonner les conséquences de la faiblesse du budget, il faut en revanche imputer l’absence totale de rythme, dans les dialogues comme dans l’action, à un script bancal (remanié presque entièrement et en peu de temps) et à la mise en scène paresseuse de Picchio. Avec toute la bonne volonté du monde, on ne croit pas une seule seconde à cette histoire dont même le twist final, ouvert sur on-ne-sait-quoi, est laborieux. On passera sous silence les références clichés qui émaillent le film comme les noms religieux – Abel, Kain, Lily(th ?) – ou la musique heavy métal au générique, en se demandant si tout cela n’est pas finalement du second degré.
Cette hypothèse improbable est écartée dans le making-of – peu ou prou un monologue d’une demi-heure agrémenté de quelques images. Raffaele Picchio y évoque son admiration pour l’œuvre d’Amando de Ossorio dont des éléments tels que des protagonistes fascistes et un mal venu du passé sont déjà présents dans Morituris (2011), premier long-métrage de l’Italien. On apprend aussi que la genèse de La malédiction des morts-vivants ne fut pas une partie de plaisir : ainsi, la première mouture du scénario était très différente du script final mais a dû être abandonnée car les lieux de tournage initialement prévus n’étaient plus disponibles. Finalement tourné dans une cimenterie désaffectée près de Bergame, le film a été remanié pour devenir un post-apo dont la structure ressemble à celle de La Chevauchée des morts-vivants. Malgré ces embûches et le peu de moyens, Picchio se montre fier de son œuvre et des acteurs qu’il a rassemblés, notamment Alice Zanini (Lily), recrutée sur casting, Bill Hutchens (Abel), et Fabio Testi (le geôlier) qui a tenu quelques grands rôles dans les années soixante-dix, par exemple aux côtés de l’auteur de Possession Andrzej Zulawski dans L’important c’est d’aimer (1975) ou dans Les quatre de l’apocalypse (Lucio Fulci, 1975). On aurait aimé que ce récit de tournage suscite un peu d’indulgence à l’égard du résultat. On aurait vraiment aimé.