Les Enfants de la Pluie


Explorateurs aguerris d’un cinéma bis et audacieux, Le Chat qui Fume a coutume d’excaver les tréfonds du cinéma de genre français, souvent passés sous les radars. Cette fois avec Les Enfants de la pluie (Philippe Leclerc, 2003) la poursuite de ces souterrains cinématographiques fait un crochet – rare pour l’éditeur – du côté de l’animation, entre le mythe universel, et des particularismes très franco-français.

Skän, à la peau marron, et Kalisto, à la peau turquoise, se font face sous la pluie dans le film d'animation Les Enfants de la Pluie.

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Team Aqua & Team Magma

Skän, dans Les Enfants de la Pluie, joue de la flûte, pendant qu'un petit être ailé se pose sur le bout de son instrument.

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L’universalisme des Enfants de la pluie, premier long-métrage de Philippe Leclerc, tient avant tout de son scénario et de son histoire tandis que sa singularité s’incarne davantage dans son esthétique. Histoire tourmentée de peuples incompatibles : Pyross – peuple solaire – et Hydross – peuple aqueux – autrefois unis par une entité cosmique ont été séparés il y a des siècles par un esprit aux desseins malveillants. Reclus dans la cité troglodyte de Orfalaise pendant la saison des pluies, mortelles pour ce peuple de feu, les jeunes hommes Pyross s’entraînent à rejoindre les rangs des forces armées, alimentés par les préceptes du grand prêtre de la lumière Razza et envoyant sans cesse des guerriers Pyross au front contre des lointaines forces Hydross. Skän, jeune Pyross, fait partie de cette génération souhaitant rejoindre les forces armées comme son père avant lui malgré la voix de sa mère, critique envers Razza, faite prisonnière, et tuée dans une attaque d’un prétendu “dragon Hydross” qui sème la terreur pendant les pluies. Sa formation accomplie, Skän rejoint comme écuyer une expédition qui sous couvert de quête de ressources – des pierres solaires riches en énergie que s’accapare Razza – relèvent avant tout d’opérations de tueries d’Hydross impuissants se transformant en statue pour se protéger de la chaleur. Skän comprenant l’entreprise malfaisante et carrément génocidaire tue le chevalier Pyross qu’il accompagnait pour protéger la statue d’une Hydross – Kallisto – pour qui le jeune homme est tombé en pâmoison. Comprenant que son système de croyances et l’opposition supposée “naturelle” entre ces peuples n’est que manipulation, guidé par l’amour naissant entre les deux jeunes Pyross et Hydross, Skän va tenter de faire triompher l’union.

L’esthétique des Enfants de la pluie apparaît comme un terrain singulier mais qui, pour autant, dégage quelque chose de familier. Visuellement, le film incarne un imaginaire français tout à fait unique, quoique difficile à résumer : celui d’une galaxie qui aurait pour centre de rotation Métal Hurlant. Laboratoire de science-fiction et de fantasy, le magazine a consciemment ou non façonné les esprits artistiques derrière Les Enfants de la pluie, quand certains de leurs architectes ne sont pas directement impliqués dans le projet. On retrouve dans la morphologie des personnages, des bêtes et de certaines topographies l’influence indéniable de Philippe Druillet, auteur et artisan essentiel de Métal Hurlant. Et au-delà de l’inspiration, Philippe Caza, collaborateur régulier du magazine, est carrément scénariste des Enfants de la pluie. Difficile de tracer l’impact ou de réduire à quelques mots les lignes directrices de “l’esprit Métal Hurlant”, si ce n’est celui de visions riches, nouvelles et audacieuses de la science-fiction et de fantasy que le film de Leclerc épouse parfaitement. Les Enfants de la pluie apparaît donc comme le mariage entre Métal Hurlant et un cinéma d’animation français entre Grimault et Laloux. Leclerc ayant collaboré sur Gandahar (René Laloux, 1987) comme assistant réalisateur, comme animateur sur Le Roi et l’Oiseau (Paul Grimault, 1988) ou Les Douze Travaux d’Astérix (Goscinny & Uderzo, 1976), mais aussi réalisateur de ses propres dessins animés comme le très beau Les Animaux du Bois de Quat’sous, on retrouve dans son parcours tous les ingrédients qui font le sel des Enfants de la pluie. De Métal Hurlant, puisé chez son scénariste Caza tout comme dans le cinéma du susnommé René Laloux, il tirera des visions fortes et impactantes, balancées par une recherche d’universalisme et d’un récit pouvant être narré avec la même intransigeance – sans omettre parfois la cruauté du monde – aux enfants et aux adultes, une capacité à s’adresser à toutes et tous qu’on retrouve chez Grimault, Uderzo & Goscinny, ou dans Les Animaux du Bois de Quat’sous.

Cette direction visuelle puissante et singulière accompagne Les Enfants de la pluie dans un récit universel et à la troublante contemporanéité. Celle de deux peuples autrefois unis, divisés par une entité, et dont la division est perpétrée par les dirigeants avares en pouvoir, ressources et contrôle, au nom d’une guerre juste voire logique : le feu contre l’eau, quoi de plus naturel comme opposition. Un mensonge orchestré et entretenu à des fins bellicistes, si ce n’est d’éradication. Il va sans dire que le visionnage des Enfants de la pluie a de quoi provoquer un étrange vertige tant le film de 2003 évoque des problématiques géopolitiques tout à fait actuelles, avec une franchise déroutante pour un “film pour enfant”. Vertige contemporain également lorsque Skän, désormais lucide quant aux manipulations du dirigeant Razza, rejoint les quelques Pyross résistants et est accueilli d’un “Bienvenu chez les Insoumis”… Outre ces ponts tantôt amusants tantôt déroutants d’acuité entre notre actualité et celle du long-métrage, Les Enfants de la pluie marque autant notre regard contemporain car il s’assume comme un film pertinent sur les divisions pour justifier les guerres, absurdes car fratricides : thématique profondément universelle aux récits de conflits. En même temps, il n’oublie jamais l’implication du politique et du religion pour entretenir cette configuration entre un oppresseur et un opprimé. Le récit traite de la division avec un grand sérieux, avec une candeur réjouissante où l’amour doit triompher du déchirement. Un soin appliqué à ses thématiques qui rend d’autant plus dommageable le fait que sa narration, passée la rencontre entre Skän et Kallisto, aille si vite en besogne pour résoudre ses conflits, sans s’encombrer de respirations ou de pause pour rendre la progression des personnages plus vraisemblables.

Blu-Ray du film Les enfants de la pluie.Du côté de l’édition concoctée par le Chat qui Fume, le film s’accompagne d’une présentation de plus de vingt minutes de Philippe Leclerc, mine d’or d’anecdotes sur la production, le cinéma d’animation de manière général, de son travail avec Laloux, avec Caza, qui rend honneur à la richesse visuelle des Enfants de la pluie. Il aborde avec lucidité la réception critique du long-métrage, son budget (“autant que la scène d’ouverture du Roi Lion) ou sa vision du “film pour enfant” : ne jamais faire dans le simplisme, prendre ce public avec le sérieux qu’il mérite. Un accompagnement complet à une indéniable curiosité du cinéma français, l’un des rares films à avoir aussi bien su capturer “l’esprit Métal Hurlant” tout en sachant l’incorporer à une production destinée à un jeune public, mais pas que !


A propos de Pierre Nicolas

Cinéphile particulièrement porté sur les cinémas d'horreur, d'animation et les thrillers en tout genre. Si on s'en tient à son mémoire il serait spécialiste des films de super-héros, mais ce serait bien réducteur. Il prend autant de plaisir devant des films de Douglas Sirk que devant Jojo's Bizarre Adventure. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/rZUd2

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