Love Lies Bleeding


Après Saint Maud (2019), impressionnant premier long récompensé dans de nombreux festivals de films fantastiques, Rose Glass revient, sous la bannière A24, avec un nouveau long-métrage déjà culte mettant cette fois en avant deux femmes au cœur d’une tourmente policière mêlant culturisme, mafia, violences conjugales et addiction à la clope : critique de Love Lies Bleeding.

Le couple lesbien de Love Lies Bleeding, interprétée par Kirsten Stewart et Katy O'Brian, discutent assises, l'une très près de l'autre, dans une scène de tendresse, au milieu des bancs de musculation.

© Metropolitan / A24

Stéroïde City


Ça commence par un trou béant. Une crevasse, profonde, sombre, angoissante. La musique atmosphérique qui accompagne ce plan liminaire, elle aussi, distille une inquiétante étrangeté : Love Lies Bleeding se place, dès son départ, sous l’égide du bizarre. On n’en attendait pas moins du nouveau film de Rose Glass dont le premier impressionnant long-métrage, Saint Maud (2019) flirtait avec le body horror, le fantastique et le mystique (lire notre entretien avec la cinéaste). Quelque chose rôde dans ce Nouveau-Mexique. Un trou noir. Un truc qui cloche, un truc dans l’air. Un truc dans les toilettes qui bloquent dans la salle de muscu que gère Lou, interprétée par Kristen Stewart, et qu’elle doit, dès sa première apparition à l’écran, essayer de déboucher à grand renfort de gants Mappa. Un truc dans le corps de Lou Senior – Ed Harris – paternel mafieux servant de grand méchant à cette fable, tout à la fois inquiétante, imposante, maladive, chauve sur le devant, trop chevelu à l’arrière. Un truc louche dans les piqures de stéroïdes prises par Jackie – l’ahurissante Katy O’Brian, véritable star du film – agitant ses muscles, la transformant, petit à petit. Un truc qui bloque, qui enserre, qui est prêt à exploser.

Kirsten Stewart apeurée est assise contre une porte, qu'elle bloque avec ses mains et son dos dans le film Love Lies Bleeding.

© Metropolitan / A24

Love Lies Bleeding, dans les discussions précédant la sortie, dans sa promotion et jusque dans son affiche, a beaucoup été assimilé à Thelma et Louise (Ridley Scott, 1991). À première vue on ne peut que donner raison à cette comparaison, notamment par la mise au centre de son intrigue de deux protagonistes féminins faisant face à une affaire de meurtre. Mais à mieux y regarder, Love Lies Bleeding est en réalité assez loin du film culte de Ridley Scott, il s’agit peut-être même en fait de son négatif. Ici, il n’est pas question de road trip ou de folles courses-poursuites, mais au contraire d’une écrasante immobilité. Comme le montre le personnage de Kristen Stewart qui à plusieurs reprises au cours du récit essaie d’arrêter la clope, s’extirper du marasme, s’échapper de cette petite ville du Nouveau-Mexique, autant d’échappatoires qui s’avèrent être plus ardus qu’il n’en ont l’air. Pour Lou et Jackie, après leur coup de foudre dans la salle de muscu et une courte période de lune de miel, loin des problèmes, le problème est au contraire d’être empêchées. Il n’y a pas de fuite en avant, si le mouvement est impossible. Prises dans une affaire de meurtres elles aussi, ce n’est pas une folle course à travers les États-Unis qui s’engagent bien plutôt une lutte pour sortir de l’étau de la police, du père dangereux mafieux aux activités nébuleuses et tentaculaires, d’une sœur victime de violences conjugales, d’à peu près tous les hommes du long-métrage – tour à tour violents et manipulateurs – et d’une ville trop petite pour les muscles saillants de Jackie. A l’image de la crevasse qui ouvre le film, ce trou paumé du Nouveau-Mexique est un puits sans fond prêt à avaler et emprisonner Jackie et Lou. Love Lies Bleeding ne peut ainsi donc pas être le récit d’une échappée, mais celui d’un bras de fer contre les structures qui enserrent deux femmes.

Concours de bodybuilding féminin, plusieurs concurrentes alignées qui posent et contractent leurs musculatures, dans le film Love lies bleeding.

© Metropolitan / A24

Rose Glass elle-même semble participer à cette lutte perpétuelle. À l’inverse de son premier long-métrage parfaitement maitrisé, s’inscrivant franchement dans un genre horrifique sobre (qu’on pourrait rapidement assimiler à cette catégorie plus ou moins cohérente d’elevated horror), le second s’essaye à virer davantage de bord, à changer de genres et de tons, de la comédie noire au thriller jusqu’à adopter très franchement des atours fantastiques dans un ahurissant final. Là où le film perd en pure maitrise, il gagne très franchement en trouble, en beauté, en chair. C’est peut-être là le fil conducteur de Love Lies Bleeding. De la naissance et l’incandescence du désir entre Jackie et Lou, à la représentation du culturisme – assez rare au cinéma, particulièrement pour une femme – en passant par la violence parfois très frontale, c’est là que le long-métrage prend tout son sens : c’est par les corps, qui se brisent, qui vieillissent et qui s’aiment, que viennent la destruction ou le salut.


A propos de Martin Courgeon

Un beau jour de projection de "The Room", après avoir reçu une petite cuillère en plastique de plein fouet, Martin eu l'illumination et se décida enfin à écrire sur sa plus grande passion, le cinéma. Il est fan absolu des films "coming of age movies" des années 80, notamment ceux de son saint patron John Hughes, du cinéma japonais, et de Scooby Doo, le Film. Il rêve d'une résidence secondaire à Twin Peaks ou à Hill Valley, c'est au choix. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/riwIY

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