Nouvelle variation de l’œuvre séminale de Mary Shelley, Lisa Frankenstein (Zelda Williams, 2024) tente une touche d’originalité en transposant ses motifs dans l’imagerie rassurante et surexploitée des années 80. Une audace qui n’en est pas tout à fait une, et qui questionne surtout la sincérité de ses autrices.
Prométhée Eighties
Zelda Williams n’est pas vraiment une inconnue au sein de l’industrie hollywoodienne : fille du regretté Robin Williams, elle a d’abord évolué comme actrice dans des productions indés puis comme réalisatrice de clips et de courts-métrages remarqués comme Shrimp (2018). Ce dernier tend à rendre évidente la rencontre artistique entre la cinéaste et la scénariste Diablo Cody derrière les histoires de Juno (Jason Reitman, 2007) ou Jennifer’s Body (Karyn Kusama, 2009), tant la portée gentiment provocatrice et féministe de leurs œuvres respectives semble s’accorder ici. D’ailleurs, selon Cody, Lisa Frankenstein se déroulerait dans le même univers camp de Jennifer’s Body. L’intrigue prend place en 1989 et suit Lisa, une lycéenne en marge, qui réanime accidentellement un cadavre pendant un orage. Celui-ci s’avère être un gentil homme de l’époque victorienne, et Lisa va lui faire découvrir la modernité et ses tourments adolescents… Vous les sentez les influences ? C’est normal, Zelda Williams et Diablo Cody les ont exposées en long et en large pour promouvoir la sortie du film.
Un peu de Carrie au bal du diable (Brian De Palma, 1976), un soupçon d’Une Créature de rêve (John Hugues, 1985), une bonne dose du Tim Burton des premières années… Tout dans Lisa Frankenstein rappelle, thématiquement comme formellement, des œuvres que l’on a depuis longtemps digérées. Cet aspect mash up n’est pas forcément un défaut majeur du projet de Williams, loin s’en faut, mais interroge a minima – comme Stranger Things (Matt & Ross Duffer, depuis 2016) – sur la sincérité d’une telle démarche. En convoquant cette esthétique et ces influences, les autrices ne se contentent-elles pas de mettre un joli verni sur une coquille bien creuse ? Sans notre familiarité avec cette imagerie, resterions-nous attentifs devant ce Lisa Frankenstein qui peine drôlement à démarrer à cause d’une première demi-heure laborieuse à souhait ? Non pas que la chose soit exécutée n’importe comment, Zelda Williams fait preuve d’un talent certain pour proposer une mise en scène propre et efficace, or les enjeux peinent à s’installer et la suspension consentie d’incrédulité du spectateur est franchement mise à mal.
Plus que de vouloir reproduire les années 80, Zelda Williams s’emploie à en retrouver la (fausse) candeur. De ce point de vue, la cinéaste pille allègrement Edward aux mains d’argent (Tim Burton, 1990) et sa naïveté apparente, et un même personnage quasi muet qui déboule dans une suburb américaine pour une finalité romantique similaire. Comme chez Tim Burton, Williams et Cody piratent ce postulat de départ pour lui tordre le cou avec un portrait au vitriol de l’Amérique. Sauf qu’elles n’arrivent pas à emporter l’adhésion du spectateur à cause de personnages tantôt mal écrits, tantôt mal interprétés. Si Kathryn Newton peine à rendre attachante Lisa pour ses défauts de caractérisation, Cole Sprouse imite péniblement le Johnny Depp du classique de Tim Burton. Déjà insupportable lorsqu’il jouait l’enfant de Ross dans Friends (Martha Kauffman & David Crane, 1994-2004), l’idole teenage de Riverdale (Roberto Aguirre-Sacasa, 2017-2023) peine encore à convaincre, d’autant plus dans un rôle qui nécessitait davantage de physicalité et d’expression. Le reste du casting, qui comprend tout de même Carla Gugino et Joe Chrest, fidèle de Steven Soderbergh, fait le job sans éclat notable.
Reste que le film se présente à nous sans prétention particulière et qu’il convient de souligner une certaine générosité régressive. Pour peu que l’on ait survécu aux piteux personnages et à cette première demi-heure pénible, il est permis de trouver le dernier acte assez déjanté pour esquisser un petit sourire. Le propos sur le deuil impossible est même plutôt pertinent – Zelda Williams a souvent rappelé la difficulté de surmonter le suicide de son père – quand il n’est pas gâché par des tentatives d’humour provocateur qui tombent le plus souvent à plat. On aurait souhaité un long-métrage plus construit et moins (in)conscient de lui-même et de sa portée. Néanmoins, peut-être parce qu’elle s’est retrouvée quelque peu prisonnière de ses références et de sa collaboration avec Diablo Cody, on pardonnera ce faux départ à Zelda Williams qui pourrait être une cinéaste à surveiller pour ces prochaines années. Avec Lisa Frankenstein, elle ne fait qu’effleurer des thématiques et éprouver une approche visuelle, son talent derrière la caméra se manifeste toutefois assez pour attiser la curiosité sur cette carrière naissante.