Premier film de son réalisateur, Rob Jabbaz, The Sadness est une satire de la société moderne et un petit bijou gore dont la vision peut provoquer des malaises aux spectateurs qui oseraient s’y frotter. Âmes sensibles s’abstenir, pour ce long-métrage présenté au PIFFF.
L’Odeur de l’Essence
Depuis le début de la crise du Covid, on a vu poindre des centaines de projets plus ou moins opportunistes traitant de près ou de loin l’épidémie. Si tous les genres ont copieusement exploité ce filon, c’est bien dans le cinéma d’horreur qu’on a vu le plus d’essais : en effet, quoi de mieux que l’horreur pour retranscrire les troubles d’un monde en crise. Si la plupart des films d’horreur traitant directement de la crise du Covid donnent la sensation d’un travail bâclé, la faute à une écriture trop hâtive pour éviter que le film soit passé de mode à sa sortie, The Sadness (Rob Jabbaz, 2021) est au contraire l’une des rares productions même si il n’y fait pas mention concrète, à parler de la crise que nous avons vécue (et que nous vivons encore) de façon pertinente tout en offrant un divertissement jouissif. L’action se déroule à Taiwan, ou, un an après que l’impact d’une pandémie ait été endiguée, les autorités taïwanaises se relâchent. Malheureusement pour eux, le virus mute et transforme les personnes infectées en monstres sadiques qui prendront plaisir à violer, tuer et torturer. Avec un tel postulat de départ, qui n’est pas sans rappeler The Crazies (Georges Romero, 1979) on s’attend à un film qui ne lésinerait pas dans ses effets gores, dans la lignée d’un Braindead (Peter Jackson, 1992) ou d’un Evil dead (Sam Raimi, 1981). Et autant le dire tout de suite, il ne décevra pas les amateurs de ce type d’excès. The Sadness est en effet un pur film gore régressif proposant des scènes de meurtres et de tortures violentes qui en dégoûteront plus d’un (mention spéciale à la scène de coït orbital). Le long-métrage n’est pas à mettre entre toutes les mains et si vous souhaitez aller au bout de l’expérience, il vous faudra avoir le cœur bien accroché. Car la promesse qui vous est faite ici, c’est que, pour peu que vous soyez en appétit pour ce genre de proposition, vous pourriez vivre l’une des meilleures séances de votre vie.
Ceci dit, il convient d’ajouter que si The Sadness est une réussite, ce n’est pas seulement du fait de ses effets gores inventifs, mais aussi parce qu’il parvient parfaitement à susciter l’angoisse chez le spectateur, grâce à une mise en scène extrêmement travaillée. La scène du métro, qui est l’une des plus emblématiques du film, est l’un des exemples de réussite technique dans ce domaine. Commençant comme une scène “traditionnelle”, elle dérive petit à petit vers un délire gore jouant sur le cloisonnement d’une rame de métro en utilisant des plans serrés qui accentuent cette sensation de huis clos. A cette maestria, s’ajoute encore un scénario assez intelligent, en cela qu’il est une véritable satire de note société moderne. D’abord en s’en prenant avec vigueur à la masculinité toxique si remise en cause depuis quelques années : le cinéaste s’amuse à symboliser cette déconstruction dans les traits de caractère d’un personnage se plaignant “qu’on ne plus aborder une femme sans passer pour un prédateur sexuel” et se positionnant alors comme victime d’un faux jugement sur sa personne, sous prétexte qu’il est un homme. Mais une fois transformé en zombie… celui-ci montrera sa vraie nature, celle d’un prédateur sexuel qui va traquer l’héroïne tout au long du récit ! Cette vision cynique de l’humanité, très actuelle, rend le film aussi amusant que pertinent. Outre ce sujet, le long-métrage en aborde d’autres tout aussi brûlants d’actualité. En effet, il est d’abord évident que The Sadness a été pensé comme une métaphore politique de la menace que représente la Chine sur Taiwan. Mais encore, il s’amuse à communiquer avec l’actualité pandémique de façon assez franche notamment par la présence de simimi anti-vax qui préfèrent les informations glanées sur internet aux conseils des médecins (« Si c’est pour me répéter la même chose, moi aussi, je peux être médecin » dit l’un des personnages). Tout dans l’horreur satirique déployée par le film semble se nourrir de l’état actuel et fragile de nos sociétés. Une fragilité qui se cristallise dans une scène d’hôpital qui vire au pugilat général pour un sujet aussi “banal” que la politique… Au sortir de la séance, on se demande parfois si les humains « normaux » (plus aptes à filmer leurs semblables se faire démembrer qu’à leur porter secours) dépeints dans le film, ne sont en réalité pas plus dangereux que les zombies eux-mêmes.