Queimada


Dénonçant la cruauté de l’esclavage et de la colonisation sept ans avant la série Racines (Marvin J. Chomsky, 1977), les éditions Rimini nous proposent de redécouvrir le très injustement méconnu Queimada de Gilles Pontecorvo pour la première fois en DVD et Blu-ray.

Marlon Brando sur son cheval, présente un esclave noir, une corde autour de la taille, à un potentiel acheteur dans le film Queimada.

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Abolition

Marlon Brando et un esclave noir vêtu en costume militaire de l'époque, avec médaille et épaulettes dorées, regardent l'horizon dans le film Queimada.

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Déjà connue pour La Bataille d’Alger (Gilles Pontecorvo, 1968) qui avait choqué pour sa dénonciation des méfaits de l’armée française en Algérie – le film restera censuré en France jusqu’en 2004, à mettrre en corrélation avec le RAS d’Yves Boisset (1973) – Gilles Pontecorvo revient trois ans plus tard avec Queimada (1969) une œuvre hautement politique qui tout en traitant de la question de l’esclavagisme traite en sous-texte des horreurs diverses du colonialisme. Le scénario narre les mésaventures de l’officier anglais William Walker envoyé à Queimada, colonie portugaise, pour fomenter une révolte d’esclave qui avantagera les colons anglais. Alors qu’on aurait pu s’attendre dès les premières minutes de la narration à un énième récit de White Savior, le réalisateur surprend son spectateur en alternant le point de vue des noirs et des blancs sur la question de l’esclavage. Rappelons que quand Queimada est sorti, nous étions en pleine dé-ségrégation aux États-Unis, une époque durant laquelle la voix des noirs commençait à peine à se faire entendre et où les rares productions traitant de l’esclavage épousait généralement le point de vue des blancs. Chez Pontecorvo, les esclaves et les maîtres sont traités sur un même pied d’égalité et on ne peut que saluer un film qui entend montrer la parole des esclaves, mais aussi qui au lieu de blâmer leurs révoltes légitimes, épousent leurs convictions. L’approche de Gilles Pontecorvo est à mettre en corrélation avec ses idées radicales et les événements qui ont bousculé les années 1960. En effet, cinéaste d’extrême-gauche connu pour diffuser la voix des opprimés, Pontecorvo a bel et bien choisi de placer ses visions révolutionnaires à travers son film. Ainsi, si le personnage interprété par Marlon Brando, bien qu’ambigu, appelle les noirs à la lutte armée en leur expliquant pourquoi elle est légitime, c’est pour mieux se faire le relais des convictions de l’auteur. Il faut comprendre ces discours comme une condamnation de l’impérialisme occidental dont la colonisation est basée sur la prédation d’autres pays. On notera, par ailleurs, que cette édition rend justice au réalisateur puisqu’elle propose dans son intégralité ses discours qui furent censurés à l’époque, car jugés trop radicaux. On peut pardonner au réalisateur une fin quelque peu cynique – mais qui colle parfaitement à la réalité de l’époque –, Queimada par son propos « en avance sur son temps », reflète surtout à merveille une époque en plein changement de paradigme.

Si Gilles Pontecorvo est l’un des artisans principaux de la réussite technique de son long-métrage, il ne faut pas oublier la performance injustement méconnue de Marlon Brando. Pontecorvo a toujours privilégié le travail d’acteurs non-professionels pour garantir une certaine authenticité à ses films, il est donc relativement étonnant de le voir travailler avec une telle légende. Mais, à l’instar du metteur en scène, Brando est un acteur aux positions radicales très peu connues – rappelons qu’il a refusé l’Oscar du meilleur acteur pour Le Parrain (Francis Ford Coppola, 1972) en protestation contre les stigmatisations dont sont victimes les Amérindiens – il était normal qu’un tel sujet allait l’attirer a tel point qu’il a fait la démarche envers le cinéaste pour incarner ce rôle. Il livre ici une performance tout en nuance qui correspond parfaitement à la moralité douteuse de son personnage. Enfin, Queimada c’est aussi la musique de Ennio Morricone, le Blu-Ray du film Queimada proposé par Rimini Editions.compositeur italien livrant ici un score épique mélangeant habilement les chants grégoriens et les rythmes africains. On retiendra surtout le thème principal Abolição  (Abolition en français) qui résonne comme un cri de rage : commençant par un orgue – symbolisant l’Occident – qui laisse peu à peu place à des congas et des rythmiques africaines, puis le terme Abolição  est répété à tue-tête par des cœurs, symbolisant la liberté auquel les esclaves aspirent.

Pour cette première édition française en DVD et Blu-ray, les distributeurs ont tout fait pour rendre justice au film de Pontecorvo. il est proposé qui plus est dans deux versions : une version cinéma et une version longue plus proche de la vision du réalisateur. L’édition propose aussi une interview de Giorgio Ariorio – scénariste du film, qui pendant une trentaine de minutes reviendra sur la genèse du projet et les différentes versions du scénario – une autre d’une vingtaine de minutes de Gilles Mora, monteur, et enfin de Gilles Pontecorvo qui a été réalisé par la RTBF lors de la sortie du film. Pour parfaire le tout, ce coffret précieux ne saurait être plus parfait qu’avec un livret de vingt-quatre pages. Essentiel donc.


A propos de Freddy Fiack

Passionné d’histoire et de série B Freddy aime bien passer ses samedis à mater l’intégrale des films de Max Pécas. En plus, de ces activités sur le site, il adore écrire des nouvelles horrifiques. Grand admirateur des œuvres de Lloyd Kauffman, il considère le cinéma d’exploitation des années 1970 et 1980 comme l’âge d’or du cinéma. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/rZYkQ

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