Présenté à Un Certain Regard à Cannes en 2019, Nina Wu (Midi Z, 2020) comptait secouer la Croisette avec son sujet provocateur. Brûlot politique sur la domination masculine au cinéma, le réalisateur Midi Z plonge ses personnages et ses spectateurs dans un enfer qui peut exister au-delà de l’écran.
L’actrice du Millénaire
Ce qui frappe d’abord dans Nina Wu, c’est le jusqu’au-boutisme de son propos. Nina, une jeune taïwanaise, streameuse et aspirante actrice, rêve de briller dans le milieu du cinéma. Elle écume les petits rôles, avant de se voir offrir une place centrale dans une grosse production taïwanaise. Le tournage est laborieux, éprouvant et le piège finit lentement par se refermer sur la jeune femme. Il est indéniable que Midi Z traite avec Nina Wu d’un des plus grands bouleversements que le monde du cinéma ait connu en ce début de millénaire : octobre 2017, la planète ciné explose à la suite d’accusations portées par le New York Times et le New Yorker. Une douzaine de femmes accuse Harvey Weinstein d’agression sexuelle, harcèlement sexuel ou de viol. La tête d’un des producteurs de cinéma américain les plus influents vient de tomber. Depuis, des langues se délient, des paroles se libèrent et des individus s’effraient. D’autres témoignages émergent, et il est désormais impossible de ne pas voir qu’il existe encore, dans le monde du cinéma, une puissante domination masculine se gargarisant d’un sentiment d’impunité depuis des années. Une conclusion qui n’a pas attendu ces révélations pour exister, et qui n’est pas loin de toucher le seul domaine du cinéma. Toutefois, les accusations autour de Weinstein ont mis le doigt sur un problème sérieux, composant l’industrie cinématographique, et remis la lumière sur le mouvement #MeToo, lancé en 2007, encourageant la prise de la parole féminine sur ces questions, prise de parole tardive malgré de précédentes épisodes isolés (la condamnation de Jean-Claude Brisseau).
Nina Wu s’inscrit dans ce contexte, comme un cri d’alarme. Nina est prête à tout pour réussir dans le domaine, détenu principalement par des hommes, du producteur au réalisateur. Elle est contrainte de jouer une scène entièrement nue, à simuler un rapport sexuel avec deux hommes, ou se fait étrangler par son réalisateur qui cherche à lui faire jouer une émotion précise. Nina est clairement présentée comme subissant les idées d’autres hommes, en position d’infériorité. Une infériorité qui serait due à sa condition de femme actrice. Mais le récit se concentre davantage sur ce qu’il se passe après le tournage c’est à dire aussi pendant la promotion du film dans lequel elle a joué, et dans le « vide » laissé une fois le film tourné. C’est un piège qui se referme d’autant plus vite sur Nina, face à son entourage, aux personnalités du cinéma, et à une sorte de double ultra-violent… Nina Wu se place tout à fait dans le sillon d’autres œuvres qui ont souligné les travers du monde du cinéma, notamment pour les acteurs·trices. Si le titre de cette critique fait référence à Millenium Actress (Satoshi Kon, 2002), le long-métrage rappelle surtout Perfect Blue (Satoshi Kon, 1999) ou encore Mulholland Drive (David Lynch, 2001). Deux œuvres dans lesquelles l’usine à rêve que semble être le septième art vire au cauchemar.
La mise en scène de Midi Z aborde ces questions avec froideur. La violence en est alors décuplée mais cette distance n’est pas aidée par le défaut principal de l’objet : Nina Wu est un geste frondeur dans ses thématiques, mais confus. La ligne directrice peu claire et le montage lent peuvent vite faire perdre pied au spectateur. Il est difficile d’établir si les scènes post-tournage sont tantôt des hallucinations, des flashbacks, ou des ellipses. La violence froide employée n’aide alors pas le spectateur à se rapprocher de l’histoire qui lui est racontée… Par ailleurs, le film ne met pas le doigt sur quelque chose de particulièrement nouveau pour nous occidentaux, bien que les travers mis en scène aient rarement touché le monde du cinéma asiatique. Nina Wu montre que ces dominations masculines et ces violences faites aux femmes ne sont pas uniquement le fruit d’une culture occidentale. Elles sont globales, communes à toutes les sociétés, ne sont pas inhérentes au cinéma et exigent réflexion et remise en question.