Le Chat qui Fume continue son exploration du cinéma de genres australien avec l’un de ses plus emblématiques représentant, le très efficace Next of Kin (Tony Williams, 1982) édité en Blu-Ray.
Le Manoir de Maman
Le cinéma australien en tant que tel reste assez jeune, puisque c’est seulement en 1981 qu’un texte de loi va permettre la constitution d’une véritable industrie cinématographique australienne perenne, grâce à à la mise en place de crédits d’impôts conséquents. Cela va inciter beaucoup d’investisseurs à créer des entreprises de productions cinématographiques en Australie et de fait, renforcer considérablement la production locale. S’il existe bien sûr beaucoup de productions antérieures à cette date ayant été tournées sur le sol australien, elles étaient (pour la plupart) des longs-métrages de cinéastes expatriés ou de locaux dont les films sont produits ou co-produits par des pays étrangers à l’Australie : on pense par exemple au culte Wake in Fright de l’américain Ted Kotcheff, tourné en 1971. La Ozploitation comme on l’appelle, va se renforcer et s’affirmer grâce à la mise en place de ces facilités financières et accompagner la consolidation d’un véritable cinéma de genre australien, déjà bien actif depuis le début des années 1970. Parmi ces nombreux films appartenant à cette vague de la Ozploitation, Next of Kin (Tony Williams, 1982) est sans nul doute l’une des productions les plus emblématiques.
L’histoire suit le destin de Linda Stevens, une jeune femme qui hérite du domaine de Montclare à la mort de sa mère. Ce manoir fascinant, qui rappelle par son architecture typique les plus belles demeures gothiques, est perdu au fin fond du bush australien. La mère de Linda en avait fait une maison de retraite et l’héritière se doit donc de prendre la suite à la direction de l’établissement. Mais très vite, Linda va ressentir d’étranges sensations relatives au lieu lui-même, des visions, des pressentiments… Avant de comprendre que sa mère était elle-même troublée par ces présages. Même s’il s’agit d’une expression un peu galvaudée, on ne peut nier que le décor de ce film est un personnage à part entière. Il y a peu (voire pas) d’autres exemples d’un mariage aussi réussi entre l’atmosphère aride étouffante de l’outback australien et les codes du cinéma gothique. Une association inédite qui fait de Next of Kin un OVNI cinématographique immanquable et passionnant à (re)découvrir.
A ce même titre, la photographie du long-métrage étonne parce qu’elle navigue entre ces deux univers aux codes visuels bien définis, avec beaucoup de brio. Tourné en partie en steadicam – invention alors toute jeune puisqu’inventée par Garrett Brown en 1978 – l’objet surpasse le statut de simple film d’exploitation, souvent attribué aux productions de l’époque, par sa mise en scène inspirée et maîtrisée. Les séquences de vision de Linda – on saluera au passage l’interprétation habitée de la fascinante Jackie Kerin qui l’incarne – sont notamment très réussies, leur caractère fantasmagorique étant habilement renforcée par l’utilisation conjointe du steadicam, du ralenti et de la technique (déjà bien éculée par le genre à l’époque) du travelling compensé. Sans être révolutionnaire, la réalisation démontre d’un certain savoir-faire et copine avec une maestria baroque que n’aurait pas renié un certain Dario Argento : cette parenté en devient d’autant plus évidente, lorsqu’on assiste, médusés, à la déferlante de violence graphique du dernier tiers… Au sortir de ce choc, on s’étonnera donc que Tony Williams ne se soit jamais vraiment imposé comme un cinéaste qui compte, puisqu’il disparaîtra étrangement de la circulation après cette production, signant quelques documentaires mais plus aucun long-métrage de fiction.
Longtemps invisible en France du fait de problèmes de droits, la sortie Blu-Ray de Next of Kin sous la tutelle du Chat qui Fume est un événement en soi que tout amateur de cinémas de genres se doit d’honorer. Comme à son habitude l’éditeur offre au film un écrin de prestige et une édition riche en suppléments : commentaires audio, analyse du spécialiste Eric Peretti, quelques scènes inédites ainsi qu’une petite featurette qui propose de revenir des années plus tard dans le Manoir qui servit de décor au tournage. Une édition de plus à ajouter à l’étagère dédiée aux coffrets du Chat qui Fume, même si, il faut bien l’avouer, bientôt une seule étagère ne suffira plus.
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