Les éditions Rimini sortent pour la première fois en Blu-Ray en France le beau et méconnu Cape et Poignard de Fritz Lang (1946) dans un master honorable bien que n’ayant malheureusement pas pu bénéficier d’une restauration complète. L’occasion de revenir sur ce grand film paranoïaque sur fond de course à l’arme nucléaire. Quoi de mieux à mettre sous le sapin ?
Guerre Froide
Commencer le visionnage d’un film d’espionnage au cœur de la Seconde Guerre Mondiale, avec la star Gary Cooper dans le rôle principal, c’est forcément redouter un peu l’objet de propagande à tendance abusivement édifiante. C’est d’autant plus le cas quand il date de 1946, et que le rôle de la star en question est celui d’un scientifique américain charger de trouver des informations sur les avancées nucléaires de l’Allemagne nazie. Cette inquiétude, légitime, doit tout de suite être balayée par le nom de son auteur, le grand Fritz Lang, dont on retrouve tous les ingrédients : la noirceur, la rigueur et l’inquiétude. Les passages obligés et les figures de styles datés sont certes présents, mais aussi rarissimes qu’oubliables face à la puissance de cette œuvre trop méconnue.
Tout commence dans le Sud de la France, où des résistants tentent de communiquer des informations radios. Repérés, ils sont immédiatement exécutés. Le découpage est ciselé, le noir et blanc sublime, et le récit est placé sous les auspices d’une terreur sourde, d’une menace constante et d’une paranoïa captivante. La rigueur de la mise en scène langienne, sans le moindre effet de manche ou la moindre emphase, témoigne d’un refus de l’héroïsation béate qui correspond parfaitement à son personnage principal. Introduit dans une tirade très émouvante détaillant sa fatigue de voir ses capacités scientifiques utilisées à des fins guerrières et mortifères, le personnage de Gary Cooper ne connaît rien de la guerre. Il ne connaît que les équations mathématiques et sa méconnaissance des conflits est un puissant vecteur d’empathie pour le spectateur qui lui aussi est constamment dépassé par la démesure du conflit, et la succession des événements qui se déroulent sans surplus d’explication, rendant le moindre surgissement (même celui d’un chat) terriblement inquiétant.
La narration n’est peut-être pas la plus fluide de la carrière de Lang – notamment quand il s’agit de mêler l’intrigue d’espionnage et l’histoire amoureuse (malgré l’apparition de la sublime Lili Palmer dans l’un de ses premiers grands rôles) – mais la mise en scène du maître capable de tenir des séquences de violence de la manière la plus rugueuse qui soit – emblématique séquence de combat à mort dans le hall d’immeuble – captive sans cesse. C’est également son scepticisme et son inquiétude quant à l’essor de la puissance atomique qui surprennent le plus à cette époque et en font un objet aussi résolument sage que moderne. On sait que Lang regretta que sa fin fût supprimée par la Warner et qu’il aurait souhaité achever son récit sur une note beaucoup moins positive. Malgré ces vingt minutes tombées dans les oubliettes et cette conclusion plutôt optimiste, on perçoit bien le pessimisme du metteur en scène de Règlements de comptes (1953).
On peut regretter que l’édition de Rimini, après les sorties concurrentes des œuvres Le Tigre du Bengale (1958) Le Tombeau Hindou (1959) et ne bénéficie pas d’une meilleure restauration, celle-ci n’ayant jamais été accomplie par les studios. Quelques rayures sont donc encore visibles, mais cela ne gâche rien au plaisir d’une remarquable définition numérique qui permet de profiter largement de la belle direction de la photographie de Sol Polito. L’édition n’est pas richissime en bonus, mais comporte tout de même deux entretiens intéressants tout en étant accessibles pour les néophytes. L’un avec Christian Viviani où celui-ci se prête à un exercice, certes bref et attendu mais plutôt convaincant de comparaison entre Lang et Hitchcock, l’autre avec Bernard Eisenchitz qui place de manière complète Cape et Poignard dans la vie et l’œuvre du maître obsédé par le complot. Tout cela constitue donc un beau cadeau de Noël pour revenir aux fondamentaux de ce qui fait vraiment pas genre. A ce niveau, on n’attend toujours que quelqu’un fasse mieux que ce bon vieux Fritz.