Alors qu’on pouvait s’attendre à un énième biopic sans saveurs nous rabâchant les mêmes poncifs (gloire, chute, dépression et retour en grâce), Dexter Fletcher nous livre avec son Rocketman – biopic sur le chanteur Elton John – un véritable exercice de style aux frontières du conte onirique.
Elton seems to be a hardest man
L’annonce d’un film sur Elton John avait de quoi faire frémir. En effet, le (trop) hagiographique Bohemian Rhapsody (Bryan Singer, 2018) nous avait montré que le genre était arrivé à un point de non retour en recyclant toujours les mêmes recettes. Il est donc assez difficile de se renouveler dans un genre qui est déjà tant balisé. Conscient de ces contraintes, Dexter Fletcher nous livre un long-métrage plus proche du conte onirique que du biopic, d’où l’intérêt qu’on a décidé de lui porter.
Retraçant sur quarante ans la carrière de Elton John, l’objet prend un malin plaisir à désacraliser la figure du chanteur britannique à succès. En effet, là où Bohemian Rhapsody s’engageait à ne pas écorner l’image d’icône de Freddie Mercury ; dès les premières minutes de Rocketman, Elton John se confronte à ses démons au cours d’une séance aux Alcooliques Anonymes. En plus de présenter le chanteur sous un jour peu glorieux, cette scène, en se terminant sur un numéro musical, pose les bases de l’approche qu’a choisie le réalisateur : le surréalisme. En ajoutant une touche de fantaisie à son récit, Dexter Flether transcende son matériau de base. Tout en voulant rester réaliste en nous racontant la vie du chanteur, le film se permet de glisser dans l’onirisme dans des scènes que n’aurait pas renié Tim Burton. Chaque numéro musical est l’occasion d’une prouesse filmique, que ce soit le long plan-séquence sur la musique de Saturday faisant passer Elton John de l’adolescence à l’age adulte, ou la séquence en apesanteur lors de Crocodile Rock, on ne peut qu’être bluffé par les trouvailles visuelles du réalisateur. Cet équilibre entre biopic et comédie musicale est parfaitement mené et réussit l’exploit de donner un récit cohérent. La scénographie n’est pas sans rappeler Across the Universe (Julie Taymor, 2008) qui utilisait les mêmes ressorts visuelles, mais cette fois, avec la musique des Beatles. Cependant, bien que la direction artistique soit assez originale, en sacrifiant le fond à la forme le récit s’avère assez elliptique par moment et il est parfois bien difficile de cerner la personnalité complexe du chanteur. On a souvent l’impression que la vie de Elton John est survolée et beaucoup d’éléments de sa carrière – sa relation avec Bernie Taupin, son mariage avec Renate Blauel – sont à peine abordés.
L’autre originalité de ce biopic est l’utilisation qu’il fait de la musique d’Elton John. Dans la plupart des biopics musicaux, la musique est utilisée soit comme une pause dans le récit ou soit pour accompagner l’évolution d’un artiste. Dans ce métrage, la musique occupe une place plus importante car c’est par ce médium que les personnages expriment leurs sentiments. Ce choix permet de rendre le récit moins confus et d’aborder les démons de l’artiste. Il est d’ailleurs intéressant de constater le travail qui a été fait pour faire coller les chansons à l’état d’esprit des personnages d’autant plus quand elles ont été écrites dans un contexte très différent – on pense notamment à I’m still standing. Coté acteur, Taron Eggerton tire son épingle du jeu en campant un Elton John crédible. L’acteur ne cherche pas à être dans un mimétisme bigot en reprenant les intonations du chanteur anglais, mais propose un jeu tout en nuance faisant de l’artiste un clown triste. Surprenant de bout en bout, Rocketman s’impose comme l’un des biopics musicaux les plus étonnants de ces dernières années. A réserver cependant aux fans de comédies musicales.