Space Jam (Joe Pytka, 1997) s’inscrit dans la mouvance des films dont le but est purement marketing. Tel Last Action Hero (John McTiernan, 1993), avant lui, ou Small Soldiers (Joe Dante, 1998), il mise sur le fort potentiel de consommation des enfants. Alors que Lebron James succèdera officiellement à Michael Jordan dans le second opus, produit par Ryan Coogler, et à l’occasion de notre présentation du film au Club de l’Etoile (Paris) revenons sur l’un des longs-métrages les plus emblématiques des années 90.
Lacez vos Nike, on passera prendre un Big Mac sur la route
Cette phrase pourrait être un excellent résumé de ce que représente Space Jam (Joe Pytka, 1997). Le film est né de l’envie de David Falk, alors agent de Michael Jordan, de capitaliser sur les publicités à succès pour Air Jordan, la marque de chaussures de ce dernier. Dans celles-ci, le basketteur apparaissait aux côtés de Bugs Bunny, en plein regain de popularité à l’époque, pour repousser des envahisseurs extra-terrestres. Passer d’une pub de une minute trente à un long spot de une heure trente lui sembla alors une juteuse affaire, et ce n’est pas Warner Bros, propriétaire des Looney Tunes, qui viendra le contredire. Le studio engage alors pléthore de scénaristes et de réalisateurs pour donner vie à ce projet qui n’a qu’une ambition : vendre une flopée de produits dérivés. Pour cela il mise sur ses deux superstars et notamment sur l’actualité autour de Michael Jordan, qui souhaite reprendre sa carrière de basketteur. Il faut donc que l’objet sorte au moment de son retour soit dix-huit mois après l’annonce du projet.
Le fait de se concentrer sur le personnage de Michael Jordan est une bonne idée, et assez bien exploitée dès l’introduction du film. On y retrouve une très touchante scène dévoilant un jeune Michael, les yeux pleins d’étoiles et de rêves, jouer au basket avec son père, pour enchainer par l’annonce publique de sa retraite du basket. Le récit traitera en toile de fond les états d’âmes du sportif au sujet de sa nouvelle carrière dans le base-ball, peu fructueuse, avec une auto-dérision bien sentie et efficace. Cette dérision sera présente tout au long du film, et surtout dans les scènes dépourvues de Toons. Que ce soit Bill Murray essayant de se recycler à la NBA, ou les virtuoses du basket brusquement privés de leur talent, multipliant les tentatives désespérées pour le récupérer, tout est absurde, tout fonctionne assez simplement et cela a le mérite d’équilibrer les tentatives un peu moins réussies de nos amis dessinés.
En effet, si le long-métrage donne la part belle à la star ultime de la NBA, les autres stars que sont les Looney Tunes sont clairement les moins bien servis par le scénario. Si l’on retrouve leur côté hyperactif souvent agaçant – le même qui inspira la gestuelle épileptique du personnage principal de Qui veut la peau de Roger Rabbit (Robert Zemeckis, 1988) – la gouaille comique de ces fameux toons est moins inspirée que dans leurs habituels sketchs créés par Chuck Jones. Pire, leurs comportements semblent manquer de cohérence : dans un monde ou tout est possible, pourquoi acceptent-ils de se faire écraser au basket à la régulière au lieu de sortir un ou deux explosifs made in Acme ? Les personnages se ramollissent et manquent d’inventivité dans l’unique but, semble-t-il, de légitimer les enjeux (faibles) du scénario. Space Jam ne parvient ainsi jamais vraiment à leur rendre hommage comme le réussira par la suite Joe Dante (grand admirateur de Chuck Jones) dans son (trop) incompris Les Looney Tunes passent à l’action (2003).
Cependant, c’est une autre histoire côté technique. Bugs et Daffy n’ont jamais été aussi beaux et bien animés. Il faut dire qu’avant ça, Robert Zemeckis et ses équipes avaient largement déblayé le terrain en révolutionnant le genre avec Qui veut la peau de Roger Rabbit ? Ainsi, cette nouvelle tentative, dix ans plus tard, d’inclure des personnages animés dans un film en prise de vue réelle, a pour ambition de passer encore un cap technique, en s’inspirant notamment de la subtilité des jeux d’ombre du travail de Zemeckis tout en cherchant à affiner encore plus la fluidité de l’interaction avec les acteurs. Malheureusement, ce type de procédé nécessite des heures de répétitions avec des marionnettes, ainsi qu’une grande capacité d’adaptation des acteurs, et le moins que l’on puisse dire c’est que Michael Jordan n’a pas l’expérience, ni le talent de comédien de Bob Hoskins. De fait, les équipes d’animateurs de Space Jam ont dû adapter le processus pour lui faciliter le travail notamment durant les phases de basket. Pour qu’il puisse exprimer pleinement son talent avec le ballon, on lui opposa des basketteurs tout de vert vêtus, pour les remplacer ensuite par des personnages animés, le tout sur un décor tout aussi vert. Une société fut alors créée pour se spécialiser dans les incrustations sur fond vert, qui se populariseront par la suite, pour faire notamment la joie de la prélogie Star Wars (George Lucas, 2001-2005)
S’il demeure culte et particulièrement représentatif de la culture populaire des années 90, Space Jam demeure un film très inégal, bourré de défauts car il est avant tout une œuvre publicitaire plutôt qu’artistique. Calibré pour plaire aux enfants, il réussit parfaitement sa mission par l’utilisation de ses héros, un rythme très bien géré, des scènes spectaculaires et des gags qui, s’ils ne feront pas toujours sourire les adultes, fonctionneront très bien sur les plus jeunes. Le vrai problème vient plutôt du fait qu’il ne cherche jamais à aller plus loin que son concept initial, alors que McTiernan et Dante ajoutaient de la profondeur à leurs œuvres, apportant une certaine distance bienvenue, que ce soit la dérision des codes de l’actioner pour l’un, ou une réflexion cynique sur la consommation pour l’autre.