Après The Kings of Pigs (2011), Yeon Sang-Ho nous dévoile en 2013 The Fake, un véritable film coup de poing qui ne laissera aucun spectateur indifférent. Disponible sur la plateforme Outbuster, Fais Pas Genre a décidé de se plonger pour vous dans cette œuvre au parti-pris visuel et au propos témoignant d’une certaine rage mais surtout d’une très grande maîtrise.
L’homme qui criait au(x) loup(s)
Les habitants d’un village qui sera bientôt englouti par les eaux suite à la construction future d’un barrage vont peu à peu devenir les victimes d’un escroc du nom de Choi. Aidé par un jeune pasteur Chung, cet homme sermonne les villageois et parvient à les convaincre un à un de lui reverser leurs indemnités de relogement. Mais Min-Chul, un homme ostracisé par tous, découvre la supercherie et tente tant bien que mal de prévenir son village du danger. C’est via l’animation, genre peu considéré en Corée et injustement catalogué comme destiné aux enfants, que Yeon Sang-Ho se fait connaître et nous livre avec The Fake une œuvre passionnante, acide et percutante sur la religion. Naviguant entre le drame social mettant la Corée face à ses propres « démons » et un récit d’une profonde humanité, le réalisateur de Dernier Train pour Busan (2016) parvient à nous prendre aux tripes d’une façon qui se fait de plus en plus rare au cinéma.
Brutal, cru et parfois véritablement glauque et ce dès sa première scène – le meurtre d’un chien innocent par Choi et ses hommes – The Fake prend des allures de chemin de croix. Le spectateur se voit presque contraint de suivre un protagoniste antipathique, alcoolique et violent, au point de se défouler sur de parfaits inconnus comme sur sa propre famille, dans un récit poignant : le combat d’un homme pour la vérité. Mais le personnage est à l’image du film qui met à mal le curseur moral : Min-Chul n’agit pas ici par pur altruisme ou pour l’amour de son prochain, ses motivations sont à trouver dans sa volonté de se venger de Choi et d’une humiliation qui lui a été infligée par ce dernier. Un scénario passionnant, glaçant et d’une noirceur presque abyssale, le réalisateur nous donne à voir une galerie de personnages complexes mais surtout écrits avec soin, dignes représentants d’une Corée rurale en perte d’espoir et de repères qui se plonge dans la religion, pensant y trouver des réponses ou à défaut une consolation à leurs malheurs. Yeon Sang-Ho s’attaque de manière frontale à la religion, aux hommes de foi ou non qui utilisent le nom de Dieu, les croyances et la crédulité d’une certaine frange de la population pour s’enrichir et manipuler ces derniers mais aussi les fidèles eux-mêmes, qui refusent de voir la vérité même quand elle leur explose à la figure. Une hypocrisie à deux voies que l’on peut retrouver tout au long du métrage mais qui n’oublie à aucun moment que nous sommes témoins d’une histoire profondément humaine où la question de la rédemption nécessite un lourd tribut.
La réussite du film ne tient pas uniquement à son scénario rondement mené mais aussi à sa mise en scène. Faisant la part belle à une animation singulière et brillante. Cette dernière nous propulse dans le récit à travers de vrais tableaux d’une Corée rurale d’une splendeur assez inédite mais aussi au cœur de la violence, qu’elle soit physique, morale ou émotionnelle. Qu’on se le dise, The Fake nous plonge au cœur des choses avec violence et fureur, sans nous lâcher ou nous offrir un instant de répit. C’est un film où les corps et les émotions s’entrechoquent avec fracas, saignant abondamment. Un véritable choc dont on en ressort pas indemne.