Deux soeurs 1


A l’occasion de sa diffusion (un peu surprenante, il faut le dire) à 23h30 sur la chaîne Numéro 23, Deux sœurs de Kim Jee-Woon passe le regard aiguisé de Fais Pas Genre.

Nous sommes des sœurs jumelles

Au départ, il y a A Bittersweet life (2005). Pas fan absolu du polar coréen (plutôt amoureux du film noir américain sec et ténébreux des 40’s-50’s), je suis touché et saisi par cette œuvre aussi violente que mélancolique, désespérée et fleur bleue, romantique dans le plus élogieux sens du terme. C’est sur la séduction de ce dernier que l’envie de me pencher sur la carrière de son réalisateur, Kim Jee-Woon est née et m’a amené à sa première excursion dans le cinéma fantastique, réalisée deux ans plutôt, Deux sœurs. En regardant rétroactivement, il est surprenant de constater comme Jee-Woon mérite le nom éventuel de touche-à-tout, se cantonnant à ce qui a fait le succès du cinéma coréen à l’international (les genres fantastique et du polar), mais ayant débuté par la comédie (The Quiet Family, 1998), le western déjanté (Le bon, la brute et le cinglé, 2008) et étant passé par le bon gros blockbuter américain avec Arnold Schwarzenegger, Le dernier rempart (2013) que je n’ai clairement pas vraiment envie de voir, de peur de devoir y chercher ce qui fait la beauté de la patte du cinéaste. Cette touche sensible, dans A bittersweet life donc, mais aussi dans Deux sœurs, diffusé ce soir 8 janvier 2017 sur la chaîne Numéro 23.

Il ne faut point trop en dire sur l’intrigue comme c’est la coutume lors d’un film à twist car oui, Deux sœurs est un film à twist, je dirais même à twist successifs, en comptant un majeur en milieu de pellicule puis quelques autres plus tard. Simplement, Su-Mi et Su-Yeon sont deux sœurs, à l’aube de leur puberté, et elles vivent avec une belle-mère qu’elles détestent, leur mère biologique étant décédée au début on ne sait pas trop comment, mais en tous cas, pas en s’étant étouffée avec un curly (mort tirée au hasard dans ma tête). La belle-mère en question semble de plus en plus cruelle et ténébreuse, tandis que des apparitions fantomatiques et des événements inexpliqués surviennent face aux deux fillettes, pas aidées par un père complètement absent. Bon là, Deux sœurs ne fait pas dans l’originalité, je pense que l’on sera tous d’accord. Durant une bonne partie du long-métrage, Jee-woon joue ouvertement la carte facile du film de fantômes coréen ou japonais, avec des cauchemars angoissants et des manifestations spirituelles de filles aux cheveux noirs et longs venant de nulle part : on appelle ça surfer sur la vague, et ce n’est pas pour éblouir malgré une mise en scène élégante et une bande originale à la beauté sibylline et bouleversante composée par Lee Byoeng-Woo (qui a aussi œuvré sur The Host de Bong Joon-ho et Tokyo! de Joon-ho également, Leos Carax et Michel Gondry).

C’est à compter du fameux twist de mi-parcours que le film prend sa réelle orientation, étant en fait une œuvre fantastique certes, mais jouant bien plus sur les notions maladives de schizophrénie et paranoïa. A la croisée de Goodnight Mommy (auréolé du Label Fais Pas Genre 2015, quand même!), David Lynch et Roman Polanski, le spectateur est complètement déboussolé lors de la seconde moitié de Deux sœurs, navigant entre la psyché d’un des personnages principaux, des hallucinations, des souvenirs, et des séquences qui semblent plus réalistes. C’est habilement mené par Jee-woon, qui parvient, à l’instar des deux cinéastes cités plus haut connus pour leurs univers troubles et jouant avec la perception du spectateur, à nous perdre avec maîtrise, quitte à friser l’incohérence, à moins que ce ne soit absolument voulu. Ainsi quand le générique de fin apparaît, on ne sait trop ce qui a été la réalité, ce qui s’est produit pour de vrai et ce qui n’était que dans l’esprit d’une ou deux enfants traumatisées. Reste l’émotion nostalgique d’une œuvre qui raconte la perte de l’enfance au travers de la violence, de l’angoisse et de la culpabilité.

 


A propos de Alexandre Santos

En parallèle d'écrire des scénarios et des pièces de théâtre, Alexandre prend aussi la plume pour dire du mal (et du bien parfois) de ce que font les autres. Considérant "Cannibal Holocaust", Annie Girardot et Yasujiro Ozu comme trois des plus beaux cadeaux offerts par les Dieux du Cinéma, il a un certain mal à avoir des goûts cohérents mais suit pour ça un traitement à l'Institut Gérard Jugnot de Jouy-le-Moutiers. Spécialiste des westerns et films noirs des années 50, il peut parfois surprendre son monde en défendant un cinéma "indéfendable" et trash. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/s2uTM


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