Messiah of Evil


Projeté lors de la sublimissime Nuit Zombie du Paris International Fantastic Film Festival mais également disponible en DVD chez Artus Films, Messiah of Evil, sorti en 1972, est un joyau rare et méconnu dont le pouvoir de fascination est incontournable.

Zombies sensuels

Le Paris International Fantastic Film Festival est fini depuis un petit bout de temps mais quelques souvenirs ont laissé une trace profonde dans l’œil et l’esprit de votre serviteur. Comme il en est fréquemment l’occasion, les chocs ne se sont pas forcément trouvés dans la compétition mais en dehors, en l’occurrence plus spécialement, pour ce qui nous occupe en ce 6 janvier 2017, dans la fabuleuse, extraordinaire et rajeunissante (non pas que je ne sois spécialement vieux) Nuit Zombie. Le Max Linder Panorama, qui accueillait pour la première fois le PIFFF cette année, a été le théâtre des projections nocturnes et successives du montage europééen-darioargentéen de Zombie (George A. Romero, 1978), Messiah of Evil, et de l’excellent remake de La Nuit des morts-vivants (Tom Savini, 1990). Le film de Willard Huyck, co-écrit (au moins, mais on lit à plusieurs endroits qu’elle a aussi assuré la co-réalisation) avec sa compagne Gloria Katz, sorti en 1972, est celui du milieu et mérite très, très largement d’être retiré de l’oubli confidentiel dans lequel il a sombré. Il faut dire que son réalisateur est éclipsé par un des échecs les plus mal famés de l’Histoire du Cinéma, Howard the Duck (1986) : pas folichon comme CV, mais bien loin d’être révélateur en considérant que le sieur a quand même bossé sur les scénarii de Indiana Jones et le temple maudit (Steven Spielberg, 1984) et American Graffiti (George Lucas, 1974) !

S’il y a des films pour lesquels « raconter » le pitch paraît particulièrement dérisoire, Messiah of Evil en fait partie, tant un résumé factuel ne sait en épouser toute la saveur. Arletty (aucune idée de si le nom a été choisi en référence à la célèbre actrice franchouillarde), trentenaire dans la fleur de l’âge et de la sensualité, rend visite à son père dans une petite ville tout près de l’océan. Cependant son papa a disparu, lui laissant la maison vide, et elle fait naturellement des recherches pour le retrouver, des recherches qui vont la mener à rencontrer un trio de jeunes gens de son âge, mais surtout la population de plus en plus étrange et carnivore du patelin… Sur le papier, on aura l’honnêteté de dire que ça ne se démarque pas du tout venant horrifique ou de n’importe quel navet, et on a bien raison. Car Messiah of Evil ne fait en réalité pas grand-cas de la qualité narrative propre : l’intrigue stricto sensu n’est pas ce qui compte, et c’est d’ailleurs certainement le talon d’Achille du scénario qui se borne à vouloir expliquer la zombification des gens par la renaissance d’une espèce de prêtre noir démoniaque (ouais, je sais…) qui leur a jeté un sort, parce qu’il faut bien qu’on sache pourquoi tout le monde est chelou et mange les autres dans le patelin. La raison de la disparition du père est presque oubliée, même si, rassurez-vous, elle vous sera bien dévoilée lors d’un final assez sombre. Non, la beauté de Messiah of Evil est formelle, et je dirais même plus : sensitive.

Film d’atmosphère, étrange, surréel, plusieurs termes peuvent s’appliquer au film dans jamais le présenter comme il se doit. Messiah of Evil n’est pas un vulgaire autre film de zombie mais n’en prend que le prétexte pour livrer une matière vivante, une progression cauchemardesque de la protagoniste principale et nous-mêmes. Plongée dans un environnement où la désertion d’espaces censés être habités est frappante, à l’image de ce centre commercial où un des personnages se balade seule, de nuit, et dans laquelle elle croise les « possédés » pour la première fois, Arletty semble errer, entre la ville et la maison de son père, comme dans un songe ténébreux de plus en plus dépeuplé. La ville est fantomatique, silencieuse, les lumières sombres, les teintes contrastées, on se croirait presque dans un monde post-apocalyptique, surtout déshumanisé, en un flottement sans réponse, absurde et terrifiant. Avec une distance esthétique et muette, les quelques rares scènes d’agression zombiesque ressemblent à des ballets brutaux (dont une magnifique séquence dans un cinéma inspirée des Oiseaux d’Alfred Hitchcock) chorégraphiés et angoissants, mais évitant tout jet d’hémoglobine. En faisant tout l’inverse de la frontalité gore et très écrite de ce qu’un George A. Romero a pu concevoir, Huyck a l’audace de réaliser une véritable œuvre d’art presque abstraite dans son traitement de la peur et des morts-vivants, un tour de force à la sensualité insoupçonnée, aidée par la tension sexuelle qui, de plus, traverse le film…Pour toutes ces raisons, je vous le dis, Messiah of Evil est un des plus beaux films et novateurs fantastiques que vous ne verrez jamais.


A propos de Alexandre Santos

En parallèle d'écrire des scénarios et des pièces de théâtre, Alexandre prend aussi la plume pour dire du mal (et du bien parfois) de ce que font les autres. Considérant "Cannibal Holocaust", Annie Girardot et Yasujiro Ozu comme trois des plus beaux cadeaux offerts par les Dieux du Cinéma, il a un certain mal à avoir des goûts cohérents mais suit pour ça un traitement à l'Institut Gérard Jugnot de Jouy-le-Moutiers. Spécialiste des westerns et films noirs des années 50, il peut parfois surprendre son monde en défendant un cinéma "indéfendable" et trash. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/s2uTM

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