Realive


Scénariste attitré d’Alejandro Amenábar, Mateo Gil a aussi depuis quelques années une carrière de réalisateur et présente au Paris International Fantastic Film Festival cette année son film de science-fiction pessimiste et sensible, Realive.

Who wants to live forever ?

Le charme, pour ne pas dire la portée de la science-fiction, c’est (et c’est un lieu commun) d’aborder des thèmes aussi profonds que nécessaires, aussi éternels qu’actuels, de manière plaisante pour les sens, intrigantes pour l’intellect, et complexe pour ceux et celles qui la créent. Car il y a peu de genres aussi délicats à manier, invoquant, par son postulat même, un autre monde, alternatif, souvent situé dans le futur, avec les questionnements technologiques, sociaux, psychologiques que cela initie. Il y a beaucoup de films de SF mais peu de chef-d’œuvres qui ont réussi à embrasser à la fois tout leur univers, et leurs thématiques, et leurs découlements, et leur qualités cinématographiques (je peux faire un machin très profond mais dégueulasse visuellement, auquel cas on risque d’oublier mon court-métrage sur les extra-terrestres vegan). Aujourd’hui en 2016, il paraît encore plus difficile de créer un univers de science-fiction unique, les prédécesseurs n’y étant pas allés avec le dos de la cuillère en termes de trucs bien inoubliables. Mateo Gil ne s’y est pas effrayé, et présente au PIFF cette année Realive, sa vision, sombre mais intime, du futur du monde et de l’espèce humaine.

Marcus est un artiste/designer un peu tête-à-claque (s’il vivait dans le 18ème arrondissement de Paris, il pourrait être un hipster) qui réussit tout (boulot, amis, famille) et a en plus une bonne meuf. Sauf que la vie est une pute, et qu’elle lui nique bien sa mère en lui refilant un cancer du larynx. Alors qu’il sait ces derniers jours réduits, Marcus fait le choix de se suicider (afin de garder ses cellules le plus intactes possibles face à la maladie) et de se faire cryogéniser. Il est réveillé en 2084, dans un monde où la science a rudement bien avancé, et dans lequel il est le premier homme ressuscité de l’Histoire. Sauf qu’il douille physiquement (des tissus, organes ont été recrées, clonés, d’autres sont artificiels) et malgré la gentillesse de toute l’équipe médicale, il fait face à tous les troubles émotionnels qui surgissent, en étant le seul survivant de tous ceux qu’il a aimé, dans une époque qui n’est plus la sienne. La réussite de Realive et sa justesse résident dans le va-et-vient incessant, et terrible, entre le passé de Marcus et sa nouvelle vie. Son réveil est l’occasion de se remémorer, d’une manière non-chronologique, les moments importants ou insignifiants selon le bon vouloir de la mémoire (aidé potentiellement par une effroyable machine du futur appelée le Mind Writer et qui lit dans votre cerveau) de sa vie en 2015, des souvenirs qui paraissent plus loin que jamais, définitivement inatteignables. La cruauté de situation le déchire, et nous déchire en tant que spectateur : encore en vie et ressuscité, parfait, mais à quoi bon, tandis que tout ce qu’il chérissait semble derrière lui ? Avec une infinie tristesse, on se trouve avec Marcus dans cet état de solitude et de nihilisme émotionnel qui caractérise une rupture amoureuse. En l’occurrence, la rupture avec toute une vie passée.

Toutes les portées de la situation sont absolument envisagées par Gil, qui soulève les conflits technologiques ou économiques (on y parle de viabilité financière du projet Lazare comme il est appelé, on présente Marcus aux investisseurs), sociaux (la société du futur est relativement aseptisée, passant de l’Amour tel que nous le connaissons à une forme particulière de tendresse et de sexualité raisonnée, avec des groupes de sexe et des pilules pour stimuler le désir à des moments précis), et bien sûr éthiques et philosophiques : l’Homme et la science peuvent-ils s’ériger en Dieux et supprimer la mort ? Et si la technique finit par le pouvoir, est-ce pour autant légitime, et supportable ? Ce sans pour pour autant s’éloigner de la portée émotionnelle, car tous les aspects sont toujours liés aux ressentis de Marcus. C’est super, me direz-vous…Excepté lorsqu’on tartine d’une voix-off mièvre, celle de Marcus, qui nous explique ad libitum tout ce que l’image et le scénario pourtant bien construit conçu par le réalisateur suffisent à nous faire comprendre. D’une redondance et d’une lourdeur littéraire, coupant l’herbe sous le pied de l’émotion ou de la réflexion personnelle sans cesse, cette voix-off tue dans l’œuf bien des beautés du film qui ne peut s’empêcher de tomber dans une paraphrase acharnée, tantôt par les mots donc, tantôt par des choix musicaux mélodramatiques et trop appuyés. Sans ces éléments fâcheux, Realive aurait presque pu être un chef-d’œuvre.

 


A propos de Alexandre Santos

En parallèle d'écrire des scénarios et des pièces de théâtre, Alexandre prend aussi la plume pour dire du mal (et du bien parfois) de ce que font les autres. Considérant "Cannibal Holocaust", Annie Girardot et Yasujiro Ozu comme trois des plus beaux cadeaux offerts par les Dieux du Cinéma, il a un certain mal à avoir des goûts cohérents mais suit pour ça un traitement à l'Institut Gérard Jugnot de Jouy-le-Moutiers. Spécialiste des westerns et films noirs des années 50, il peut parfois surprendre son monde en défendant un cinéma "indéfendable" et trash. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/s2uTM

Laissez un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

2 × trois =

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.