Septième tome d’une collection intitulée La petite bédéthèque des savoirs qui propose de réunir un spécialiste et un dessinateur autour d’un sujet, Le Nouvel Hollywood réunit le critique de cinéma Jean-Baptiste Thoret, spécialiste du cinéma américain des années soixante dix et le dessinateur Brüno avec pour ambition de répondre le plus synthétiquement – et graphiquement – possible aux questions que vous pouvez vous poser sur cet âge d’or de l’histoire du cinéma américain.
« We Blew it ! »
Les cinéphiles amateurs d’un mauvais genre connaissent bien Jean-Baptiste Thoret parce qu’il est, en France, l’un des rares critiques et essayistes à savoir parler correctement de cinéma de genre(s). On lui doit, entre autres, quatre livres de références sur la question : l’un co-écrit avec Luc Lagier consacré à John Carpenter intitulé Mythes et Masques : Les Fantômes de John Carpenter (Editions Dreamland, 1998), mais aussi Une expérience américaine du chaos : Massacre à la tronçonneuse de Tobe Hooper (Editions Dreamland, 2000), Dario Argento : Magicien de la peur (Editions des Cahiers du Cinéma, 2002) sans oublier Politique des Zombies, l’Amérique selon George R. Romero (Editions Ellipses, 2007). Grand amateur du cinéma américain des années soixante dix et quatre vingt, il a aussi signé un ouvrage important sur la question Le Cinéma américain des années 70 (Editions des Cahiers du Cinéma, 2008) dont ce nouveau livre, Le Nouvel Hollywood (Editions Le Lombard, 2016) est un peu un dérivé, moins théorique, plus synthétique et informatif, mais plus atypique toutefois puisque l’auteur est accompagné par un dessinateur de bande-dessinées, le talentueux Brüno, qui met en image les textes de Thoret. Au fil des pages, on défile dans l’univers graphique du dessinateur, dont le style oscille entre le minimalisme d’un Saul Bass, enchevêtrant les silhouettes de clairs obscures clairsemées d’aplats de couleurs pour donner lieu à des compositions aussi épurées que graphiques qui rappellent aussi, à bien des égards, le style du regretté Honoré.
Le livre est le septième tome d’une petite collection intitulée La Bédéthèque des savoirs dont le concept est de réunir un spécialiste essayiste et un dessinateur de bande-dessinées autour de sujets aussi variés que le féminisme, l’univers, les requins, le heavy metal ou le tatouage. L’association de Jean-Baptiste Thoret et Brüno apparaît dès les premières pages comme une évidence. Dessinateur émérite largement salué, Brüno est surtout connu pour ses bandes-dessinées telles que Lorna (Editions Glénat, 2012) ou Tyler Cross (Editions Dargaud, 2012-2014) fortement inspirées par le cinéma américain des années soixante-dix, de la fameuse blaxploitation jusqu’au Nouvel Hollywood dont il est ici question. Dans sa très bonne préface, David Vandermeulen nous rappelle que l’expression Nouvel Hollywood, bien qu’elle puisse nous paraître évidente à tous et largement entrée dans le vocabulaire cinéphile, est en réalité bien plus récente qu’il n’y parait puisque sa première évocation en France date de 2002 à l’occasion de la traduction d’un des ouvrages de référence sur cette période de l’histoire du cinéma américain, signé par Peter Biskind dont le titre original est Easy Rider, Raging Bull : How the sex-drugs-and-Rock’n’roll generation saves Hollywood et que la traductrice Alexandra Peyre renomma Le Nouvel Hollywood: Coppola, Lucas, Scorsese, Spielberg : La Révolution d’une Génération (Edition Le Cherche Midi, 2002). Parvenant à être à la fois un ouvrage de vulgarisation qui se lit vite – une qualité inhérente aux bandes-dessinées – et un vrai essai de réflexion sur ce mouvement, le livre ne survole pas son sujet, mettant parfaitement en lumière ses différentes spécificités, certaines pages s’arrêtant plus particulièrement sur quelques grands noms qui ont fait le cinéma de cette époque – Roger Corman, Robert Altman, Francis Ford Coppola, William Friedkin et j’en passe beaucoup d’autres – ou quelques genres et sous-genres particuliers tels que la blaxploitation ou le cinéma d’horreur – où il est plus particulièrement question du Massacre à la Tronçonneuse (1973) de Tobe Hooper et de La Nuit des Morts Vivants (1968) de Georges A. Romero – ou bien encore le road-movie avec Easy Rider (Dennis Hopper, 1968) ou Point Limite Zero (Richard Sarafian, 1971).
Outre la plume de Thoret, qui parvient admirablement, de manière précise et concise, à rendre compte de la richesse de ce mouvement du cinéma qui dynamita Hollywood – comme le répète Peter Fonda à Dennis Hopper à la toute fin de Easy Rider (« You know man, we blew it ! ») prophétisant autant le caractère révolutionnaire du Nouvel Hollywood que la destinée téléguidée vers l’échec de cette révolution – le dessin de Brüno parvient quant à lui à capturer l’identité particulière et une certaine iconographie de l’époque, reproduisant certaines séquences ou certains photogrammes avec un brillant sens de la mise en page et du minimalisme graphique. La réunion de ces deux talents – et non pas des deux mondes, car à bien des égards, leurs univers, influences et passions concordaient assez logiquement à cette réunion sur papier – donne lieu à un objet soigné, intéressant et d’une grande beauté visuelle qu’il convient d’ajouter dans sa bibliothèque, surtout pour les amateurs de cinéma et de bandes-dessinées.
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