Rare excursion de John Landis dans l’horreur, Innocent Blood est un film aussi méconnu que rare du réalisateur.
Le Grand Détournement
Même si on lui affuble le titre de Maître de l’Horreur, peu de films de la filmographie de John Landis peuvent se vanter d’en être. Innocent Blood, dont il est question ici, est l’une des exceptions. Alors que le réalisateur aime expliquer que Le Loup Garou de Londres (1981) est une comédie dans laquelle s’infiltre l’horreur, c’est l’équation inverse qu’il affirme avoir appliquée sur Innocent Blood qui serait donc un film d’horreur qui tend très vite vers la comédie. Il est intéressant de voir les deux films en miroir car ils forment presque un diptyque. Si le premier revisitait la figure mythique du loup-garou, c’est un autre monstre sacré du cinéma et de la littérature fantastique qui est harponné par Landis pour servir l’intrigue d’Innocent Blood. Dans ce film, en effet, la française Anne Parillaud – tout juste sortie de Nikita (1990) de Luc Besson – incarne une jeune femme libérée dont la soif de sexe est égale à sa soif de sang. Piégeant un maximum de victimes hommes, scrupuleusement choisies, entre ses bras et entre ses jambes, la succube, telle une mante religieuse finit son funeste dessein en leur donnant la mort, les mordant au cou pour les vider de leur sang.
Vous l’aurez compris, cette vampire-là est très loin des stéréotypes des plus célèbres stars de son espèce : rien de bien semblable aux Dracula et autres Nosferatu. On a plutôt affaire à une variante un peu extraterrestre du mythe du vampire, évoquant d’avantage quelques autres représentations de succubes modernes comme celle présente dans Rage (1976) de David Cronenberg ou encore dans l’étrangement beau Life Force de Tobe Hooper (1985) sortie quelques années plus tôt et qui mettait aussi en avant une star française et ses formes – en l’occurence Mathilda May – dans le rôle de la despote. Le film débute dans une ambiance nocturne où l’on découvre une jeune femme, en voix-off, expliquant d’une belle voix suave à quel point elle aime s’envoyer en l’air avec n’importe qui, particulièrement dans les quartiers glauques, la nuit, à la lumière des néons. Une atmosphère si particulière qui rappelle l’un des films précédent de John Landis, l’intriguant Série noire pour une Nuit Blanche (1985) mais aussi, une fois n’est pas coutume, l’univers de certains films de David Cronenberg. Mais très vite, John Landis change de tableau. Il faut bien dire que pour n’importe quel cinéphile averti, connaisseur des débuts de sa filmographie, cette entrée en matière pouvait paraître un peu trop sérieuse. Dans une scène d’étreinte sur la banquette arrière d’une automobile, le film opère sa mutation vers l’absurde et un ton résolument comique. Entre deux soupirs d’orgasme, la succube perd ses moyens, perd le contrôle. Ses pupilles se dilatent et s’emplissent d’un rouge émeraude, ses canines poussent comme des serres d’aigles, et ne pouvant plus contenir son plaisir, elle se jette sur le cou de celui qui l’a fait jouir, pour lui sucer le sang. D’une brutalité guignolesque, la séquence terrifie autant qu’elle ne provoque un fou rire général dans la salle. Elle rappelle d’ailleurs, dans ses mécanismes narratifs, le prologue réalisé par John Landis du film La Quatrième Dimension (1983). Quoi qu’il en soit, la mutation du film est atteinte et une fois encore : John Landis vient de pirater un genre.
Mais qu’on se le dise, John Landis n’est pas du genre à s’arrêter en si bon chemin et s’asseoir sur une bonne idée trouvée dans les premières minutes du film. Toute sa filmographie en témoigne, ses films opèrent des mutations constantes, des loopings infernaux, jusqu’à l’épuisement parfois. L’idée géniale de Innocent Blood est de pirater successivement les codes du film d’horreur de série B, puis ceux du film de gangster. On apprend très rapidement que la belle Anne Parillaud a beau vider de leur sang ses victimes, elle ne les tue pas pour autant. Non, elle en fait plutôt des suceurs de sang à leur tour. Le film de zombies n’est pas loin. Les contaminés doivent être tués d’une balle dans la tête, tout ça, tout ça… En plus de leur donner l’aspect d’un légume moche dont personne ne veut au supermarché, cette morsure leur procure accessoirement une force surhumaine. Lorsqu’ils l’apprennent, les mafiosos du coin – dont leur chef, incroyablement interprété par Robert Loggia – comptent bien se faire baiser et mordre pour dominer le monde et tant pis si c’est compliqué de peser dans le business avec une face de pet déconfite. Opérer une alchimie entre trois genres est souvent casse-gueule – beaucoup se sont déjà brisés les côtes à en mélanger deux – mais rien n’est de trop pour John Landis dont le détournement des codes est sans nul doute la spécialité. Nous voulions, par le biais de ce dossier et son titre (“Le cinéaste pirate”) mettre en avant ce qui nous semble être la caractéristique principale et majeure du cinéma de John Landis : le piratage des genres, la maestria parodique. A ce titre, en dynamitant comédie, film noir, brin de science-fiction et film d’horreur, le réalisateur de Hamburger Film Sandwich (1977) prouve une nouvelle fois qu’il excelle dans l’art du détournement.
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