Il est coutumier dans la sphère cinéphile d’associer quasiment systématiquement le nom de John Landis avec celui de son ami Joe Dante, réalisateur entre autre des Gremlins (1984) et de L’Aventure Intérieure (1987) à qui nous avions déjà consacré, par ailleurs, un dossier. Si les deux mauvais garçons d’Hollywood ont bien des points communs, leurs filmographies respectives ne jouent tout de même pas dans les mêmes catégories. Tentative d’explication et de défense de John Landis.
Sauvetage en eaux troubles
Il y a quatre ans, le Festival International du Film d’Amiens avait rendu un mémorable hommage, en sa présence, au réalisateur mythique pour toute une génération, Joe Dante : papa des diaboliques petits Gremlins (1984) mais aussi d’autres pépites plus ou moins célèbres comme Explorers (1985), L’Aventure Intérieure (1987), Les Banlieusards (1989), le magnifique Panic sur Florida Beach (1993) ou encore le très grinçant Small Soldiers (1998). En 2015, l’invitation de John Landis est présentée par le Festival comme une sorte de prolongement de cet hommage rendu en 2011, la pièce manquante à un « tableau de chasse », comme si l’un ne pouvait pas aller sans l’autre. Le drame en réalité, c’est que pour beaucoup de cinéphiles, il est vrai : John Landis ne va pas sans Joe Dante. Leur association en ce sens me semble plus récurrente que dans l’autre. Car oui, étonnamment, pour une immense majorité de ces mêmes cinéphiles : Joe Dante va très bien sans John Landis. Ceci étant dit, pourrions nous se risquer à évoquer John Landis comme le vilain petit canard de Joe Dante ? De même, peut-être, que Joe Dante pourrait être considéré comme le vilain petit canard de Steven Spielberg ? On comprendra en tout cas, même si cela nous étonne – voir ma note de bas de page dans notre article sur la masterclass de John Landis – que John Landis tente de se défaire de cette affiliation forcée. Le bonhomme est peut être conscient de n’être pas considéré comme il devrait l’être. Tout au long de ce dossier que nous lui avons consacré, nous nous sommes évertués à mettre en lumière ce qui nous semble être la matrice de la filmographie de Landis.
Le drame de la carrière de John Landis est donc probablement de n’avoir jamais pu s’émanciper de ces multiples cases dans lesquelles la critique, le public et les studios : l’ont assigné à tord. Relié immanquablement à la génération Spielberg-Dante-Lucas-Coppola-etjenpasse, l’intéressé a beau héler encore aujourd’hui « Non, je ne fais pas partie de ce groupe car je suis plus jeune qu’eux ! », les arguments brandis par l’accusation – que je défend aussi partiellement – c’est qu’il est naturellement associé à cette bande parce qu’il l’a côtoyé de prêt. Sa participation avec Steven Spielberg, Joe Dante et George Miller au film La Quatrième Dimension (1983) étant l’argument le plus indéboulonnable. Plus étonnant encore, on associe très souvent John Landis à un autre groupe qu’on appelle Les Maîtres de l’Horreur ou Masters of Horror. Une terminologie qui est désormais cristallisée dans le vocabulaire cinéphile depuis qu’une série réunissant les plus grands réalisateurs de films d’horreur – de Tobe Hooper à Dario Argento, en passant par John Carpenter et Takashi Miike – en porta le nom. Dans cette joyeuse troupe d’étripeurs sur celluloïd, on retrouvait deux noms : Joe Dante et John Landis. Si leurs épisodes font partie des meilleurs de l’anthologie – mention spéciale pour Vote ou Crève de Joe Dante et La Belle est la Bête de John Landis dont vous a parlé Jade dans son article – on peut s’étonner de les voir, l’un comme l’autre, assignés à une étiquette, un poil réductrice, qu’est celle de réalisateurs de films d’horreur. Non pas que l’on considérerait le cinéma d’horreur comme du sous-cinéma – c’est quand même pas le genre de la maison, vous le savez bien – mais surtout parce que très peu de films de leurs filmographies respectives lorgnent clairement vers l’horreur. Cette assimilation à un genre qu’il n’a que peu fréquenté a pu à mon sens largement desservir la carrière de John Landis. Tout juste a-t-il malmené les codes du cinéma d’horreur, les trempant dans sa marmite parodique, comme c’est le cas par exemple dans Le Loup-Garou de Londres (1981) et Innocent Blood (1992). Il s’agit là, avec le clip de Thriller réalisé pour Michael Jackson – peut être son chef-d’oeuvre ? – des deux seules incursions de John Landis vers l’horreur. Ces multiples fausses réputations qu’on a pu lui donner l’ont condamné à marcher constamment dans l’ombre d’autres : de Joe Dante d’une part – comme un duo de copains inséparables dans lequel l’un attire toujours plus la lumière sur lui, laissant son compère éperdu à son statut de misérable sidekick – ou encore des autres réalisateurs de « la bande des barbus » – on le considère souvent à tort comme faisant partie de ce florilège de réalisateurs qui ont commencé leur carrière sous la houlette de Roger Corman et/ou de Steven Spielberg – mais aussi dans l’ombre des vrais grands maîtres de l’horreur, j’entends par là, bien entendu, de la stature d’un John Carpenter ou d’un Dario Argento.
Lors de sa masterclass – qui a inauguré notre dossier – John Landis fustigeait la politique des auteurs et se défendait d’avoir réfléchi ses films comme des pièces s’imbriquant les unes avec les autres pour former une filmographie dans laquelle on pourrait déceler des thèmes et récurrences qui permettraient d’articuler une réflexion et une lecture globalisée de son œuvre. Il faut dire que lorsque l’on décortique la filmographie du bonhomme, l’éclectisme qui y prédomine conforte l’impossibilité de dresser les plans de la maison Landis. Quelques murs porteurs tout au plus, mais qui se cassent très vite la gueule, faute de fondations solides. Ovniesques du premier au dernier, les films de John Landis ont quand même de commun ce goût rieur pour l’absurde et un dévouement total pour l’humour subversif voir parfois gras. L’autre dénominateur commun à tous ses films est sans nul doute cet appétit insatiable pour le pastiche, ce plaisir gourmand à détourner les codes, s’en moquer ou les croiser. Notre dossier qui se termine aujourd’hui avec cet article en guise d’épilogue, souhaitait mettre en avant, par son titre, une facette assez peu décrite de l’oeuvre de John Landis. Celle d’un cinéaste pirate, un corsaire redoutable qui a abordé bien des navires, bien des genres, en a harponné les codes, couteau entre les dents. La rétrospective qui lui était consacrée cette année au 35ème Festival International du Film d’Amiens a beau avoir largement mis en lumière, par le choix des films diffusés, l’éclectisme de cette filmographie foisonnante – où l’on navigue à l’aveugle, d’une séance à l’autre, d’un polar à une comédie potache, d’un film d’horreur à un western chantant – on regrettera néanmoins que la communication entourant la venue événement du bonhomme à Amiens n’a pas suffisamment mise en avant la singularité de ce cinéaste un peu désavoué, préférant le présenter comme le dernier trophée à accrocher à un tableau de chasse, ou bien encore la deuxième partie d’une rétrospective sur le mauvais genre à l’américaine qui aurait été initiée il y’a quelques années, dans ce même festival, par la venue de Joe Dante. Qu’on se le dise, ce n’était, nous semble t-il, pas la meilleure façon de rendre justice à l’invité. Car Non, John Landis n’est pas Joe Dante. L’intitulé de cet article vous l’aurez compris, a beau promettre un pamphlet qui couvrirait de louanges Joe Dante au mépris de John Landis – chose que j’aurais pu faire, Dante étant clairement plus important dans mon petit cœur d’enfant des années 90 que John Landis, découvert sur le tard – j’ai préféré en faire plutôt une opération de sauvetage. Je reste persuadé que la meilleure grâce que l’on puisse rendre à John Landis est assurément de ne pas le comparer ou l’associer à d’autres cinéastes de sa génération, encore moins à Joe Dante, mais d’enfin oser le considérer comme le cinéaste singulier qu’il est. Ne plus le considérer, ni comme le palefrenier, ni comme la cinquième roue du carrosse. Redonner ses titres de noblesses à l’un des cinéastes américains les plus intéressants de la décennie 80. C’était l’objectif de ce dossier et nous espérons la mission accomplie.