Tous les genres cinématographiques ont leur penchant nanar, et à ce titre, le film d’animaux tueurs n’est pas en reste. Piranhas, anacondas, cobras, dinosaures, komodos, squales et même barracudas ou chauve-souris… ! Les succès des King Kong, Godzilla et autres Dents de la Mer ont donnés beaucoup d’idées aux producteurs de nanars. Et surtout à Fabrizio De Angelis, producteur et réalisateur de daubes italiennes, qui sous le pseudonyme – tiens, c’est courant dans le milieu – de Larry Ludman, signe un film de crocodile tueur d’un incroyable ridicule mais néanmoins parfaitement culte, du fait de son lot de répliques cultes, à condition qu’on le regarde en VF… ce qui est de toute façon de convenance.
Pollywog / pʌlɪwɒg / n.m
Définition : stade larvaire des amphibiens d’eau,principalement des grenouilles.
Killer Crocodile se déroule dans les Caraïbes et suit une troupe de jeunes militants écolos qui s’y rendent pour dénoncer les agissements d’une firme multinationale qui pollue les eaux par des rejets radioactifs. Dans le bayou – oui, il y a le bayou dans les Caraïbes– la faune a été fortement perturbée par cette radioactivité nouvelle, et surtout notre héroïne, que nous nommerons Maryse. Maryse, c’est une Crocodile, mais pas une crocodile mini format, non, c’est une crocodile mutante qui fait la taille d’un bateau ! Rapidement, Maryse va s’en prendre aux jeunes partisans d’Europe Ecologie Les Verts, et les dévorer un à un. Les autorités quant à elles, s’en tapent un peu, ils faut dire qu’ils voient d’un mauvais œil l’arrivée de ces écolos dans le coin, et ne croient pas du tout à la thèse de l’animal dévoreur de baigneur. Mais, dans le lot, débarque un chasseur un peu fêlé, nommé Joe, espèce de mix entre Crocodile Dundee et le chasseur déglingué de Jumanji (Joe Johnston, 1995) qui vient faire ses constats aux détours de répliques d’anthologies “Ça, ça a été fait par des animaux très méchants, comme un crocodile ou une hélice de bateau !” pour le légiste qui analyse l’un des corps comme pour les autorités, c’est évident, les jeunes ont eu un malheureux accident, et sont passés sur leur pote avec leur bateau. Que c’est bateau !
Mais voilà, Maryse la Crocodile espère bien qu’on lui accorde ses talents de bouffeuse d’écolos. Alors, d’une pierre deux coups, elle attaque le village tout proche et mange deux enfants et aussi un adulte d’une connerie inhumaine. L’une des petites filles s’accroche désespérément au ponton que le croco a fait s’effondrer, pour ne pas tomber à l’eau et être à la merci du monstre. L’adulte agit alors avec une bêtise que seuls des personnages de nanars peuvent avoir. Au lieu de tirer vers lui la gamine du haut du ponton, il préfère descendre en dessous d’elle pour la pousser par les fesses vers le haut et… se faire dévorer ! Ce massacre suffit à convaincre – enfin – les autorités que les cadavres retrouvés ces derniers temps sont bien l’œuvre d’attaques de crocodile. Les jeunes écologistes vont donc se liguer avec eux pour lutter contre les pollueurs qui ont fait se transformer la bête, et contre la bête elle-même. Pour cela, ils seront bien sûr aidés par Joe, notre fameux chasseur, qui est un peu l’encyclopédie vivante des lieux. “Où l’avez-vous trouvé ?” -“On l’a retrouvé à deux heures de navigation d’ici” -“Ah oui, je connais”. Il est fort ce type, c’est le genre de mec qui gagnerait à Koh Lanta sans problème. Ce personnage, par ailleurs, possède à lui seul la plupart des répliques cultes du film. Des répliques qu’ils balancent avec un sérieux aussi déroutant qu’hilarant, sublimé par son doubleur français : “Cet animal est aussi gros et fort qu’une armée de putain de yankees !” avant de préciser “Mes balles peuvent tuer un camion 30 tonnes !”.
Les répliques cultes sont pléthore dans cette comédie malgré elle. Sûrement le fruit de doubleurs inventifs désireux de s’amuser un tantinet, des lignes de dialogues entières méritent ainsi leur place au panthéon des répliques les plus drôles du septième art. “Tu veux me faire plaisir ? Mêle-toi de tes fesses espèce de grosse loche !” lance le patron de la multinationale pollueuse à la jeune scientifique écolo à lunette qui répond “Mes éprouvettes sont remplies d’eau polluée pour tout prouver !”. Mais encore “Avance espèce de Pollywog !” – “Pollywog ?” – “Oui, les crocodiles deviennent plus nerveux selon les intonations de la voix !”. Sacré Joe, qui réplique encore “Je ne vois rien, mais ça veut pas dire qu’il n’est pas entrain de nous mater ce salopard !”. Le petit plus reste que le crocodile employé est au même titre que le squale des Dents de la Mer de Steven Spielberg, une animatronique un peu rouillée, qui a très mal vieilli mais reste toujours plus “charmant” à regarder que de mauvaises images de synthèse. Ce crocodile est l’œuvre de Giannetto de Rossi, l’un des maîtres des effets spéciaux, qui a travaillé notamment sur Piranhas 2 de James Cameron ou le Dune de David Lynch. Son travail n’est pas brillant, mais toujours meilleur que la médiocrité générale du film. Un film lent, aux dialogues très particuliers, avec des éclairs de génie et des répliques cultes déjà citées plus haut, couplées à des lignes entières de dialogues inutiles du genre “Bon, je vais me coucher !” -“Tu vas te coucher ?” -“Oui” -“Bon bah, bonne nuit” -“Oui, bonne nuit” -“Dites quelqu’un à de l’eau ?” -“Tu as soif ?” -“Oui” -“Prends ma gourde” -“Merci” -“De rien, Kévin”. Tiens, Kévin… parlons de Kévin un instant. C’est le héros du groupe. Le leader écolo avec sa barbe et ses cheveux mal coiffé, en fait, il ressemble à s’y méprendre à Alexandre Aja, c’est son sosie tout craché. Kévin est tellement trop bien qu’il sera le dernier survivant de la troupe de militants de Daniel Cohn-Bendit (ndr, la première version de cet article a été écrite en 2011, à l’époque Daniel Cohn-Bendit était le fer de lance de l’écologie en France, depuis… hum) et mènera avec Joe le Chasseur, l’ultime attaque contre le monstre. Ce final dantesque verra Joe trépasser face à son ennemi après une séance de surf sur crocodile magistrale – enfin pas vraiment, il fait juste semblant de se faire bouffer, parce qu’en fait il n’est pas vraiment mort … – seul contre le monstre, Kévin est désemparé, il ne sait que faire, car il comptait pas mal sur Joe, il l’avait suivi dans Koh Lanta Vietnam ainsi que dans l’édition All Stars dans laquelle il avait perdu sur les poteaux, donc il connaissait bien ses compétences. Ni une, ni deux, Joe sort ensanglanté de je ne sais où, jette son chapeau d’Indiana Jones à son jeune padawan qui du coup, en le plaçant sur sa tête, comprend direct qu’en jetant l’hélice du bateau à la gueule de Maryse, cela risque de la tuer. That’s a Bingo ! Parce que sûrement que Maryse était un crocodile radioactif, le moteur de l’hélice l’a carrément faite exploser ! A moins que c’est ce qui arrive à un crocodile animatronique passant dans une hélice de bâteau… A ce moment, j’ai le sentiment d’avoir vu l’un des nanars les plus cultes qui m’ait été donné de voir après Raptors de Jim Wynorski. Mais ce n’est pas terminé. Fabrizio De Angelis est un génie jusqu’au bout. Une petite musique copiée-collé de celle de Jaws démarre, et un léger zoom avant approche d’un nid sur une berge dévoilant des oeufs ! Et un an plus tard, le fils de Maryse viendra venger sa mère dans Killer Crocodile 2… Vas-y avance espèce de Pollywog !
A l’époque de la rédaction de cet article, pour voir Killer Crocodile I et II il suffisait de se rendre dans n’importe quel Cash Concept pour tomber sur la bête, dans les bacs de DVD à 50 centimes – vous savez, ceux dont les jaquettes sont tellement grasses qu’on dirait qu’elles ont été entreposées dans une friterie pendant dix ans – aussi, ce monument du nanar n’avait jamais vraiment eu le droit à une édition de prestige et nous sommes donc ravis que Le Chat qui Fume ait pu lui offrir cet honneur. Il est toujours surprenant mais néanmoins plaisant de constater que l’éditeur applique le même soin dans les éditions de chefs-d’oeuvres des cinémas de genres, que dans des raretés du cinéma d’exploitation plus ou moins inspirées. Là encore, le coffret offre un visuel magnifique, des masters d’une qualité jamais vue pour ces deux films et de riches bonus : un entretien de 15 minutes avec le directeur de la photographie Federico Del Zoppo, un autre avec Giannetto de Rossi le créateur de ce fameux crocodile ainsi qu’un dernier avec l’acteur Pietro Genuardi. Pour ceux qui ne sont pas suffisamment rassasié, quelques scènes coupées du deuxième opus viendront prolonger cette amusante expérience de visionnage.
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