Monstre : L’histoire d’Ed Gein


Après s’être intéressé à Jeffrey Dahmer et aux frères Menendez, Ian Brennan et Ryan Murphy sautent à pieds joints dans le plat en convoquant sur Netflix le croquemitaine ultime d’une Amérique toujours traumatisée : Ed Gein. Et c’est là un gros morceau tant sa macabre histoire hante encore nos imaginaires, notamment à la faveur de trois grands films…

Ed Gein face à une vitrine de boutique de tronçonneuses, vu de l'intérieur du magasin ; plan issu de la série Monstre : l'histoire d'Ed Gein.

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Le true crime, encore et toujours… Il n’y a pas à dire, c’est une source inépuisable de contenu, spécialement sur Netflix, venant nourrir nos peurs ou notre curiosité morbide. Ryan Murphy l’a bien compris lui qui, avec American Crime Story (depuis 2016) ou Monstre (depuis 2022), n’en finit pas de revisiter l’histoire criminelle de son pays. S’il s’est mis en retrait pour cette troisième saison de Monstre, laissant plus de latitudes à son collègue Ian Brennan, impossible de ne pas ressentir dans L’histoire d’Ed Gein (2025), son ombre et le prolongement de ses obsessions. Ed Gein, c’est en quelque sorte le Graal dans le domaine du true crime. Une quasi divinité inversée qui fascine autant qu’il révulse, et qui aura inspiré trois grands chefs-d’œuvres du septième art : Psychose (Alfred Hitchcock, 1960), Massacre à la tronçonneuse (Tobe Hooper, 1974) et Le silence des agneaux (Jonathan Demme, 1991). Excusez du peu. Pourtant, ces trois films n’étaient pas des biopics d’Ed Gein et représentaient des facettes du tueur – les problèmes avec sa maman, sa barbarie et son goût immodéré pour la peau humaine, pour dégrossir les grandes lignes – nous empêchant de connaître la « vraie histoire » derrière la « légende ».

Ed Gein drague une jeune fille dans un dinner ; scène de la série Monstre : l'histoire d'Ed Gein.

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Car, et c’est bien le problème lorsque l’on parle du Boucher de Plainfield, entre fantasmes et réalité, il y a parfois des fossés que la série embrasse d’une manière toute particulière, nous y reviendrons. Dans le Wisconsin rural des années 50, Ed Gein est un adulte limité intellectuellement qui est totalement soumis à Augusta, sa mère. Celle-ci l’éduque dans une foi bien à elle et lui interdit, par exemple, d’approcher les femmes. Quand Augusta meure, Ed se retrouve tout seul dans sa ferme et les digues sautent les unes après les autres puisqu’il va peu à peu se mettre à tuer et à déterrer des cadavres pour se confectionner des objets et des costumes en peau humaine. En parallèle, la série fait des sauts dans le temps pour nous plonger dans les tournages des trois classiques suscités, comme autant d’échos aux méfaits d’Eddie et de regards sur la fascination du public sur les faits divers. Difficile de résumer complètement Monstre : L’histoire d’Ed Gein ; il ne faudrait déjà pas divulgâcher quoique ce soit, et surtout, la construction même de la série relève en quelques sortes de l’expérience impressionniste. En effet, le récit n’est pas linéaire, il n’hésite pas à jouer avec la temporalité et avec le vrai/faux se déroulant dans le crâne du tueur.

Ce qu’il faut savoir quand on parle d’Ed Gein, c’est que « seulement » deux meurtres lui ont été officiellement attribués. Sept autres sont supposés d’après des disparitions aux alentours de sa ferme ou à Plainfield. Et treize cadavres ont été retrouvés chez lui, obtenus à partir de tombes profanées. Ça ce sont les faits, possiblement « décevants » – pour ceux qui le verraient comme un Michael Myers séminal, alignant des dizaines de meurtres – quand on parle de celui qui a inspiré Norman Bates, Leatherface ou Buffalo Bill. Et la série fait le pari osé de représenter la zone grise autour d’Ed Gein en représentant les fameux sept meurtres qui ne lui ont pas été officiellement attribués. Sauf que ces crimes-là sont illustrés de façon à ce qu’ils se confondent avec les films que la « légende » a inspirés. À titre d’exemple, la séquence où Ed poursuit les deux chasseurs se relie à une scène de Massacre à la tronçonneuse reconstituée. De même, l’hypothèse selon laquelle Ed Gein aurait assassiné son frère est représentée de sorte à ce que le tueur ne sache même plus s’il a commis un fratricide ou non. Ian Brennan et Ryan Murphy n’ont de cesse de questionner la réalité de ce qui est montré.

Un jeune homme jette un œil sur le tournage du film Psycho, sous le regard d'Alfred Hitchcock, vu de dos, ; scène de la série Monstre : l'histoire d'Ed Gein.

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Les premières saisons de Monstre avaient soulevé la question de notre rapport à la violence, notamment L’histoire de Jeffrey Dahmer, quitte à ne pas s’inquiéter de brouiller les pistes en réel et fiction. L’histoire d’Ed Gein interroge précisément cet aspect de la représentation fictionnelle ; à quel moment le récit prend-il le pas sur les faits ? Ed Gein est une opportunité en or pour traiter du sujet, le tueur ayant inspiré trois monuments du septième art, son héritage macabre est déjà supposé par le public. Inutile donc de trop s’attarder sur les motivations de Gein ou son rapport malsain à la figure maternelle : Psychose l’a déjà fait parfaitement il y a plus de soixante ans. Pas la peine de trop insister sur le côté craspec de la ferme de Plainfield : Massacre à la tronçonneuse a déjà nourri notre imaginaire. La série montre tout cela mais très vite, elle prend une direction claire, celle d’analyser la fascination américaine – et pas que – pour les tueurs en série, et l’empreinte que ceux-ci laissent dans l’Histoire d’un pays. Sans spoiler, le final osé de la série pourra laisser des spectateurs sur le carreau bien qu’elle illustre parfaitement cette idée intrigante.

Tout ceci est renforcé par les propres fascinations d’Ed Gein pour l’imagerie nazie. On nous propose en effet le récit d’Isle Koch, criminelle de guerre allemande, ici interprétée parfaitement par Vicky Krieps, comme pour préfigurer la commercialisation possible de l’horreur – Koch a été la « star » de magazines que dévorait Gein ou de films de la nazispoitation comme Isla, la louve des SS (Don Edmonds, 1975) – et ce qui attend le Boucher de Plainfield en termes d’héritage. Enfin, la série continue de convoquer notre imaginaire criminel et la pop culture macabre en faisant des derniers épisodes, une relecture à peine voilée de la fabuleuse série Mindhunter (Joe Penhall & David Fincher, 2017-2019) où Holt McCallany est remplacé à la coupe de cheveux près par Sean Carrigan. En bref, Monstre : L’histoire d’Ed Gein est la pièce du puzzle qui manquait pour appréhender une histoire travestie par la fiction et que le public n’était pas prêt à accepter comme tel, d’où le fait qu’elle ait été fragmentée dans différentes œuvres. On peut même penser que la série fait son propre mea culpa suite aux accusations en voyeurisme qui avaient pesé sur les premières saisons.

Plan rapproché-poitrine sur Charlie Hunman en clair-obscur, sur fond noir dans la série Monstre : l'histoire d'Ed Gein.

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Max Winkler – fils d’Henry Winkler, le Fonzie de Happy Days (Garry Marshall, 1974-1984) dont nous sommes à mille lieues ici ! – qui réalise l’ensemble des huit épisodes, propose une mise en scène ne quittant que rarement Ed Gein/Charlie Hunnam et laissant transparaître ce trouble du personnage et du récit. Le réalisateur ne s’interdit rien – dépeçage, cannibalisme ou nécrophilie sont au menu – et l’expérience, puisque c’en est une, est extrême tant par ce côté frontal et gênant que par ce portrait du tueur, tout en petites touches impressionnistes, que fait la série. Winkler réussi même le pari de reconstituer visuellement des œuvres aussi diverses que Psychose et son noir et blanc emblématique, Massacre à la tronçonneuse et sa pelloche brute ou Le silence des agneaux et sa photographie clinique. On ne sait même plus si l’on regarde des archives ou une reconstitution, ce qui rejoint, encore une fois, l’idée de labyrinthe dans lequel L’histoire d’Ed Gein veut nous plonger. Plus encore que pour L’histoire de Jeffrey Dahmer ou L’histoire de Lyle et Erik Menendez, cette saison affirme une singularité et une esthétique surprenantes.

Comme pour les premières saisons qui avaient vu briller de sacrés comédien.nes – Evan Peters en Dahmer et Nicholas Chavez et Cooper Koch en frères Menendez – la série propose une distribution incroyable. L’éléphant au milieu de la pièce est évidemment Charlie Hunnam qui trouve enfin un rôle à sa mesure, tout en petites manières et voix fluette. Mais sa prestation exceptionnelle, presque émouvante sur la fin, est accompagnée de Suzanna Son, formidable en petite amie un brin exagérée par rapport à la réalité, Vicky Krieps, effrayante elle aussi, et Laurie Metcalf, en mère castratrice presque plus terrifiante que quand elle jouait dans Scream 2 (Wes Craven, 1997). On peut noter les présences de Tom Hollander en Alfred Hitchcock, premier charognard à flairer le potentiel commercial de l’histoire de Gein, du grand Elliott Gould en photographe vendant des photographies de cadavres, ou de Joey Pollari en Norman Bates. Un casting inspiré, comme toujours chez Ryan Murphy, qui permet d’humaniser l’innommable et de donner corps à ce nouveau fragment de la vie de l’un des plus grands cauchemars américains de tous les temps. Et puisqu’une prochaine saison consacrée à Lizzie Borden est d’ores et déjà dans les tuyaux, aussi avec Charlie Hunnam et Vicky Krieps, nous savons que les auteurs ne sont pas prêts d’arrêter d’étudier leur pays par le prisme de sa violence. Le true crime, encore et toujours…


A propos de Kévin Robic

Kevin a décidé de ne plus se laver la main depuis qu’il lui a serré celle de son idole Martin Scorsese, un beau matin d’août 2010. Spectateur compulsif de nouveautés comme de vieux films, sa vie est rythmée autour de ces sessions de visionnage. Et de ses enfants, accessoirement. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/rNJuC

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