Wolf Man


Blake (Christopher Abbott) est un écrivain trentenaire, marié à une journaliste (Julia Garner), et père d’une petite fille (Matilda Firth). Lorsque son père, un survivaliste vivant au cœur de l’Oregon, décède, Blake n’a d’autre choix que de se rendre au cœur de la campagne où il a grandi, pour faire le tri dans les affaires paternelles. Un voyage qui se solde par un accident de voiture, l’attaque d’une créature aux allures animales, la morsure du protagoniste qui contracte très vite une drôle de maladie et une faim de loup. Dès cette introduction rapide, on comprend que Wolf Man (Leigh Whannell, 2025) est dans une double continuité.

Christopher Abbott face à une fenêtre, de nuit, en sueur,jette un œil inquiet par dessus son épaule ; scène du film Wolf Man.

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Peur Bleue

Wolf Man travaille tout d’abord les motifs d’une créature bien connue, le loup-garou, qui a eu un grand succès au cinéma. Depuis The Wolf Man (George Waggner, 1941), les adaptations de ce mythe européen se sont succédé, avec même des crossovers mettant en scène d’autres créatures comme Frankenstein rencontre le loup-garou (Roy William Neill, 1943). On retrouve à chaque fois les mêmes idées : scénario s’étalant sur trois cycles lunaires, malédiction familiale et design similaire d’une production à une autre, c’est-à-dire une grosse boule de poils se tenant sur deux pattes. La deuxième continuité dans laquelle s’inscrit ce projet, c’est bien évidemment la propre filmographie de Leigh Whannell. Ce réalisateur a tout d’abord débuté en écrivant les films de James Wan, dont le premier Saw (2004) et la saga Insidious. Il se fait ensuite remarquer en passant à la réalisation avec le thriller de science-fiction Upgrade (2018) et l’excellent Invisible Man (autre refonte d’un autre des Universal Monsters en 2020), un remake qui modifie les représentations historiques de ces monstres hollywoodiens en les transposant dans un contexte moderne. Dans le cas de The Invisible Man, c’étaient les relations toxiques et la violence au sein d’un couple, des thèmes que le cinéaste travaillait déjà dans la saga Insidious. On comprend donc, dès l’introduction, que Wolf Man trouve son inspiration plutôt dans la seconde continuité que la première. Il laisse de côté les malédictions tziganes, le design fantastique et la traditionnelle construction en trois nuits pour se placer dans un contexte bien plus contemporain avec un virus se transmettant très rapidement – le scénario est écrit pendant le premier confinement. Le « Wolf Man» du titre ressemble bien plus à un claqueur de The Last of us (Neil Druckmann et Craig Mazin, 2023) qu’à un loup et le scénario se déroule dans un unique lieu (le chalet familial) en une seule nuit. Un changement radical qui se justifie tout à fait lorsqu’on le replace dans la seconde continuité que l’on évoquait plus tôt : l’intérêt que Leigh Whannell porte aux cellules familiales et à la violence héréditaire. Et je dois bien avouer que cette démarche, de travailler des figures connues en utilisant des angles audacieux et originaux, me parle bien plus que celle de refaire quasiment plan par plan un film préexistant, pour ne pas citer le dernier Nosferatu (Robert Eggers, 2024).

Dans un salon de nuit, sans lumière, Julia Garner tient contre elle une jeune fille ; toutes deux hurlent en direction de quelque chose hors-champ ; plan issu du film Wolf Man.

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L’ouverture de Wolf Man est un plan séquence qui relate l’enfance du jeune Blake avec son patriarche aux codes sévères et brutaux. On découvre que ce dernier vit au cœur de la nature et apprend à son fils à chasser (léger fusil de Tchekhov sur le fait que le fils en question deviendra un prédateur involontairement). Lors d’une sortie en forêt, le père et le fils tombent face à une créature qui leur fait peur, et les deux se réfugient dans un abri de chasse. Cette séquence montre déjà tout le talent du cinéaste pour l’horreur puisqu’il choisit de ne pas montrer l’animal dans le cadre, on entend uniquement ses soufflements, le bruit de ses pas sur les feuilles mortes et le crissement de ses ongles sur le bois de l’abri. Une méthode qu’il exerçait déjà dans son précédent long-métrage, dans des séquences durant lesquelles on ne voyait pas l’antagoniste (logique me direz-vous puisque c’est un homme invisible), mais seulement les environnements. Le spectateur connaît les codes du cinéma de genre, il sait que si la caméra filme un couloir, c’est car une entité s’y trouve. Ici c’est le même principe : lorsque Leigh Whannell nous montre une forêt, on sait que ce ne sont pas uniquement des arbres et des feuilles, mais le territoire de chasse d’un potentiel prédateur, même si nous ne le voyons pas encore. Cette introduction sert à la fois à imposer la menace dès les premières minutes – l’un des codes que l’on retrouve maintenant dans l’ensemble des productions Blumhouse – pour happer le spectateur, et à instaurer déjà un affrontement – d’idées pour le moment, puis qui se transformera en combat de griffes et de crocs plus tard – entre le père, qui va devenir un loup-garou, et le fils.

Cette pensée est l’un des motifs que l’on retrouve pendant toute la carrière du cinéaste si on le considère comme un auteur à part entière. Que ce soit dans les Insidious, Upgrade, Invisible Man ou Wolf Man, le réalisateur s’intéresse à la manière dont des événements (traumatiques, la plupart du temps) modifient la perception de la réalité de certains personnages. Une idée qui passe tout d’abord par le scénario avant de s’insinuer dans la mise en scène à partir de Invisible Man. La protagoniste de ce dernier, à la suite de son agression par son ex-compagnon, devient paranoïaque, ce qui se ressent dans la mise en scène par des plans fixes sur des couloirs, portes et fenêtres. Elle surveille constamment son environnement. Lors de séquences ou l’héroïne parle seule, la caméra va parfois se figer et cadre un bout de la pièce qui est en apparence vide : on est donc dans la perception du personnage principal qui ne sait pas si quelqu’un est présent avec lui. Le spectateur ressent cette différence de perception grâce à la mise en scène. Une méthode similaire est utilisée dans Wolf Man lorsque la caméra change de point de vue pendant des plans séquences, passant de celui de la protagoniste à celui de l’homme-loup. Les deux personnages perçoivent le monde différemment : la journaliste ne voit que l’obscurité et entend peu de choses, tandis que la créature voit dans le noir et a une ouïe surdéveloppée. Ce jeu sur la perception est la grande idée de cinéma de Leigh Whannell, au sens deleuzien du terme « idée de cinéma ».

Un homme qui semble en souffrance est sur le sol d'une cuisine aux carrelages marron, il tend sa main avec difficulté vers un marteau à quelques centimètres de lui ; scène du film Wolf Man.

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Dans Wolf Man la perception n’est pas seulement esthétique, elle permet tout autant d’humaniser le personnage du monstre puisque l’on subit autant que lui la dégradation de son état. En laissant de côté les malédictions, les massacres et les pleines lunes, le réalisateur a pu se consacrer à une thématique universelle : la lente dégénérescence d’un proche, à cause d’une maladie. Cette idée, il l’emprunte à un maître de l’horreur bien connu des lecteurs de Fais pas Genre : Stephen King. En 1983, l’auteur écrit son roman sur les lycanthropes, L’Année du loup-garou (aussi titré Peur Bleue). Divisé en douze chapitres racontant à chaque fois l’attaque de la créature sur ses victimes, le livre fonctionne grâce à l’hors-champ et à l’empathie que l’on développe pour le monstre, qui ne souhaite pas en être un. Une idée que l’on retrouve également dans Cujo (Stephen King, 1981), l’histoire d’un chien enragé qui massacre les habitants d’un quartier et dans The Shining (Stephen King, 1977), l’histoire d’un père alcoolique qui s’en prend à sa famille. Dans tous ses ouvrages, on retrouve des chapitres entiers qui sont du point de vue de l’antagoniste et qui permettent de comprendre que ce dernier ne souhaite pas faire le mal mais qu’il y est contraint par des forces indépendantes de sa volonté. Leigh Whannell reprend ces postulats de King et les transforme de manière cinématographique : la longue introduction d’une trentaine de minutes nous permet de découvrir la cellule familiale avant qu’elle se fasse attaquer, de la même manière que King consacre toujours du temps dans ses livres à décrire l’environnement avant la venue du mal (une centaine de pages pour Cujo et The Shining). Les séquences du point de vue du loup-garou, qui épousent sa perception, reprennent également cette idée kingienne d’adopter le point de vue de l’antagoniste pour en montrer toute sa complexité. Dans Cujo on peut lire à plusieurs reprises que le chien, lentement dévoré par la folie, pense que les humains qu’il attaque sont responsables de son malheur.

On sent que la maladie l’empêche de communiquer avec son épouse puisqu’il ne peut plus lui parler (des crocs déforment sa mâchoire) et l’entendre (son oreille se déforme). Leur différence de perception met en péril leur couple – littéralement – puisqu’ils ne peuvent plus communiquer et n’ont plus le même mode de pensée. Une manière subtile de mettre en évidence – une nouvelle fois –  les liens, dans le cinéma de Leigh Whannell, entre horreur et cellules familiales. Dans Insidious, Invisible Man et Wolf Man, l’horreur n’est qu’un déclencheur qui met en évidence des problèmes préexistants : ici la fin d’un couple qui ne peut plus communiquer, donc résoudre ses difficultés. Cette corde sensible sur laquelle joue le réalisateur donne toute la singularité du long-métrage. On ne voit jamais la créature attaquer ses proches, pourtant ces derniers en ont peur et la combattent. Une différence de perception qui cause de la violence, de la même manière que dans de nombreux films d’horreurs les protagonistes attaquent les créatures (étrangères à leur mode de communication) sans chercher à discuter. Le maquillage de loup-garou n’est pas effrayant, il nous brise simplement le cœur car on sait que le monstre souffre de ces changements physiques. L’ensemble est donc bien plus un drame, celui d’une mort inévitable à venir, qu’un film d’horreur au sens classique du terme… En liant ses inspirations principales et sa propre filmographie de manière organique, Leigh Whannell nous confirme qu’il est l’un des cinéastes de l’école Blumhouse que l’on gardera à l’œil durant les années à venir.


A propos de Enzo Durand

Grand lecteur de Stephen King, Enzo s'attèle à disséquer les nombreuses adaptations du maître de l'horreur, de Brian De Palma à Mike Flannagan, en passant par Tobe Hooper et Franck Darabont. Ce qui le passionne le plus, c'est de se plonger au cœur des œuvres les plus méconnues du grand public, que ce soit des adaptations de Carrie en comédie musicale ou des remakes indiens non officiels.

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