Tulsa King – Saison 2


Après une première saison qui fut une agréable surprise, voici venu le temps de découvrir la suite des mésaventures de Dwight Manfredi alias le Tulsa King (Taylor Sheridan & Terence Winter, depuis 2022). Mais est-ce que le petit miracle d’équilibre entre drame et comédie qui faisait le sel de la première tournée d’épisodes fonctionne à nouveau ?

Sylvester Stallone et Frank Grillo en pleine négociation dans un casino ; scène de la saison 2 de Tulsa King.

© Tous Droits Réservés

Il était une fois dans le fin fond de l’Amérique

Sylvester Stallone explique quelque chose dans son bureau, une sucette dans la main gauche ; plan issu de la série Tulsa King.

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Quand la première saison de Tulsa King est sortie sur la plateforme Paramount +, quelle ne fut pas notre surprise de voir une série rappelant, dans ses meilleurs moments, les mythiques Soprano (David Chase, 1999-2007) ? Non pas que l’énième show de Taylor Sheridan, véritable machine à produire de la série comme un menuisier débiterait du bois, atteigne les sommets d’un tel monument – elle évoquait davantage l’agréable Mafia Blues (Harold Ramis, 1999), rigolote parodie du cinéma de mafia – mais une énergie fort sympathique se dégageait de l’ensemble. Surtout, Tulsa King s’avère être un écrin parfait pour laisser la vista comique de Sylvester Stallone, jusque-là malmenée dans des tentatives indignes comme L’Embrouille est dans le sac (John Landis, 1991) ou Arrête ou ma mère va tirer (Roger Spottiswoode, 1992), s’exprimer à plein. Le pitch, qui voit un vieux mafieux, Manfredi, sortir de prison après vingt ans et être exilé par ses supérieurs en Oklahoma, jouait parfaitement sur le décalage générationnel, géographique et moral de notre anti-héros avec ses contemporains. Et l’aspect humoristique était sans cesse contrebalancé avec une bonne dose de drama inhérente au milieu du banditisme qui, il ne faut pas l’oublier, est au cœur de Tulsa King.

Quand nous revenions récemment sur la carrière de Sylvester Stallone, nous passions en revue ses hauts et ses bas en distinguant des périodes où l’ego de l’acteur l’a parfois conduit dans des impasses artistiques. Des pans entiers de sa filmographie souvent jalonnés de suites boursouflées où un certain narcissisme dictait des choix plus que douteux, merveilleusement synthétisés par Rocky IV (Sylvester Stallone, 1985). Jusqu’à très récemment, et alors qu’il avait juré qu’on ne l’y reprendrait plus, il a cédé à certaines facilités en rendossant des rôles iconiques dans Rambo : Last Blood (Adrian Grunberg, 2019) ou moins iconiques dans Évasion 3 : The Extractors (John Herzfeld, 2019) ou Expendables 4 (Scott Waugh, 2023). En reprenant son rôle de mafieux anachronique, le risque était encore d’essorer jusqu’à la dernière goutte la sève de ce qui avait fait la réussite de la première saison. Et cette fois, Stallone est au scénario. Non pas qu’il soit un mauvais scénariste, loin de là – il a un Oscar pour Rocky (John G. Avildsen, 1976) quelque part sur une étagère qui atteste du contraire – mais ses derniers efforts en la matière ont plutôt eu tendance à ressasser, pour ses personnages, les mêmes enjeux que dans les années 80, comme dans Creed 2 (Steven C. Miller, 2018).

C’est un peu le cas ici dans cette deuxième saison de Tulsa King où les épreuves s’accumulent contre Dwight. Après avoir installé son business – commerce de CBD, casino et bar – dans une région des États-Unis qui ne se prêtait guère aux activités criminelles, Manfredi et sa joyeuse troupe locale de bras cassés attisent les jalousies : des capos new-yorkais, d’un respectable producteur de marijuana et d’un mafieux voisin. Les menaces viennent de toutes parts et le vieux gangster tente de régler ses problèmes les uns après les autres, tout en entamant une histoire d’amour avec Margaret. Beaucoup d’intrigues donc, et cette deuxième saison a le mérite de toutes les exploiter équitablement, en respectant les pierres posées dans la salve précédente. Ainsi, on prend un plaisir véritable à retrouver toute la bande de Tulsa – Bodhi, Chickie, Mitch et les autres – et à constater que, ça y est, la machine mafieuse est lancée et fonctionne. Il faut reconnaître que la série ne se contente pas de se reposer sur sa description décalée du milieu, d’abord en multipliant les menaces, mais surtout en faisant de la capitale de l’Oklahoma, un terrain de jeu sans limites où Dwight cherche toujours à étendre son empire.

Or toute stimulante que soit l’intrigue, on sent peut-être trop l’emprise de Stallone sur cette deuxième saison. Comme redouté, en s’emparant de l’écriture, il décalque maladroitement trop de topos déjà éculés lors de son âge d’or. Dwight Manfredi suit le même cheminement émotionnel que Rocky Balboa ou John Rambo en leurs temps : un essor, un affront, une défaite, une revanche. Cela fonctionne sur notre corde nostalgique et nos sentiments primaires, mais cela vient contredire la première saison de façon spectaculaire. Manfredi y était présenté comme un dinosaure incapable de comprendre notre époque ayant passé deux décennies au frais et la série jouait sur ce décalage en racontant, finalement, que le gangster devait s’adapter à une nouvelle société plus inclusive, moins macho. Ici, Tulsa King dit l’inverse : ce sont bel et bien aux autres de s’adapter à la nature anachronique du héros. La crise d’ego chez Sylvester Stallone n’est jamais bien loin et on constate amèrement qu’elle a même réussi à infuser le travail de deux auteurs aussi solides que Terence Winter et Taylor Sheridan. Alors quelques répliques subsistent quant au grand âge de l’acteur toutefois l’équilibre drame/comédie qui faisait le sel de la saison inaugurale est fortement mis à mal pour quasiment se délester de l’humour en cours de route.

Sylvester Stallone serre la main à un prisonnier en tenue orange dans une salle de prison dans Tulsa King saison 2.

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Reste que la série se vit, à cause de ses petites failles, comme un petit plaisir coupable haut de gamme qui réserve ses meilleurs moments dans les instants de camaraderie – le casting, impeccable, s’amuse et c’est communicatif – mention spéciale à Frank Grillo dans le rôle d’un rival mafieux. Sylvester Stallone, que ce présent article pourrait sembler détruire en règle – ce n’est pas le but, Sly étant l’un des héros de l’auteur de ses lignes – est un peu figé par son âge et ses problèmes au cou mais s’éclate dans un rôle proche d’un genre, on le sent, qu’il aurait souhaité aborder plus tôt. En outre, Tulsa King bénéficie d’une mise en scène solide bien que moins inspirée qu’en première saison – on pense notamment à cet abandon des changements de formats d’image où l’on passait du scope au panoramique selon que l’on se trouvait à New-York ou à Tulsa, ce qui permettait de jouer avec les styles de réalisation. Une dichotomie qui signifiait aussi la bipolarité tonale entre comédie et tragédie, et qui s’efface pour ne garder que le drame « à la Stallone »… On s’éloigne donc des modèles que la première saison nous évoquait pour revenir sur des rails plus classiques, ce qui, à coup sûr, ne nous empêchera pas de vouloir voir la suite avec impatience.


A propos de Kévin Robic

Kevin a décidé de ne plus se laver la main depuis qu’il lui a serré celle de son idole Martin Scorsese, un beau matin d’août 2010. Spectateur compulsif de nouveautés comme de vieux films, sa vie est rythmée autour de ces sessions de visionnage. Et de ses enfants, accessoirement. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/rNJuC

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