Le Seigneur des Anneaux : La Guerre des Rohirrim


En s’intéressant à un évènement ne représentant qu’une petite annotation dans les écrits de Tolkien, la nouvelle production estampillée Le Seigneur des Anneaux s’aventure sur le terrain de l’animation, japonaise qui plus est. Mais La Guerre des Rohirrim (Kenji Kamiyama, 2024) prend le risque de verser dans l’anecdotique…

Un oliphant, gigantesque pachyderme à armure, détruit un petit village sous un ciel ocre dans Le seigneur des anneaux : la guerre des Rohirrim.

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Nightmare on Elm’s deep

Pour les deux du fond qui ne suivraient pas, il y a actuellement deux canons sur l’œuvre de Tolkien. La saga commencée par Peter Jackson depuis bientôt un quart de siècle, et la série Les Anneaux de Pouvoir (J.D. Payne & Patrick McKay, depuis 2022). Ces deux formats, malgré les clins d’œil appuyés de la série Prime envers les films du néozélandais, n’existent pas dans le même univers narratif. C’est d’ailleurs ce qui condamne, en partie, la série à ne vivre que dans l’ombre d’un monument cinématographique tel que la trilogie du Seigneur des Anneaux (2001-2003), et, dans une moindre mesure, celle du Hobbit (2012-2014). Et à agacer, mais ça, c’est une autre histoire. La Guerre des Rohirrim, quant à lui, appartient au lore de l’univers développé par Peter Jackson. Ce qui signifie que le film d’animation a le droit de piocher dans sa direction artistique, son ambiance musicale ou même dans son casting. Ainsi, Miranda Otto, l’interprète d’Éowyn dans Les Deux Tours (2002) et Le Retour du Roi (2003), reprend son personnage narrant l’histoire de Helm Poing-de-Marteau, roi du Rohan quelques deux-cent ans avant Théoden. Celui-ci, aidé de sa fille Héra mais menacé par Wulf et son armée de Dunlendings, décide de mener son peuple vers la forteresse de Fort-le-Cor qui deviendra plus tard le fameux Gouffre de Helm.

Hera sur son cheval lancé en pleine forêt dans Le seigneur des anneaux : la guerre des Rohirrim.

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Quand Peter Jackson avait adapté Bilbo le Hobbit, beaucoup lui ont reproché d’avoir étiré le récit sur trois films en puisant ici et là des idées dans les fameux appendices du Seigneur des Anneaux. On le voit, c’est peu ou prou la même démarche à l’œuvre ici car, même si le cinéaste n’est ici que producteur exécutif, le récit de Helm Poing-de-Marteau ne représente que quelques lignes dans les écrits de J.R.R. Tolkien. En partant d’une quasi page blanche et en se détachant quasi complètement du destin des Anneaux, La Guerre des Rohirrim s’avère donc un terrain de jeu fantastique pour replonger tête baissée dans ce monde. Alors on se prend à s’attacher à ces nouveaux personnages – en particulier Héra qui est une totale invention des scénaristes – et se laisser porter par ces intrigues politiques. Et on peut saluer le fait que ces libertés aient permis une meilleure représentation des femmes quasi absente ou tout au moins reléguées au second plan dans Le Seigneur des Anneaux. Alors cela fera râler les youtubeurs ciné servant la soupe aux idées réacs, mais c’est fait avec bien plus de sincérité et de subtilité que dans Les Anneaux de Pouvoir. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si c’est Éowyn qui nous raconte cette histoire, tant sa filiation avec Héra – celle d’une femme d’action en Rohan – vient enrichir son importance dans Le Retour du Roi.

On regrette néanmoins que le film ait autant de baisses de régime sur le plan narratif, à des moments précis où on attend du récit qu’il s’envole. Par exemple, l’arrivée à Fort-le-Cor, qui aurait dû être un passage de montée en puissance fini trop vite par redescendre. Le film alterne donc les séquences très spectaculaires et amples avec des creux parfois interminables. C’est probablement lié à l’empreinte de l’animation japonaise qui impose souvent des temps morts pour aller sur un terrain plus contemplatif, mais dans le cas présent, ces passages de répit amènent plutôt vers un léger ennui. Cela ne retire en rien à la caractérisation des personnages ni aux enjeux, mais cela gâche légèrement le plaisir, surtout quand on le compare aux modèles de rythme que sont les trois films de la trilogie originale, et amenuise l’impact émotionnel. On peut aussi déplorer quelques petits clins d’œil trop appuyés à la saga de l’Anneau comme cette apparition pas d’outre-tombe de Christopher Lee dans la toge blanche de Saroumane. Mais tous ces petits défauts ne sont rien comparé aux mêmes scories chez le voisin Amazon qui, avec ses Anneaux de Pouvoir, multiplie les lenteurs inutiles et le fan service dégoulinant. Il est même étonnant de voir à quel point cette série nous ferait presque tout pardonner en comparaison. Eh oui, même la pourtant faible Bataille des Cinq Armées (2014) !

Plan rapproché-épaule sur le Roi du film Le seigneur des annneaux : la guerre des Rohirrim les sourcils froncés, sévère.

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Mais l’argument principal de La Guerre des Rohirrim était bien évidemment son parti pris de proposer une animation dans un style japonais traditionnel. La promesse était belle et nous étions pressé de voir la Terre du Milieu sous ces atours dénotant avec des formes plus actuelles. Et il est clair que, dans l’ensemble, la réalisation de Kenji Kamiyama – qui s’était glissé dans d’autres sagas comme avec les séries Ghost in the Shell : Stand Alone Complex (2002-2003) et Blade Runner : Black Lotus (2021-2022) – tient la route. Mieux, elle met encore une fois à l’amende le manque d’épique dans Les Anneaux de Pouvoir grâce à une ampleur se déployant dans les batailles et un lyrisme mixant l’influence de la trilogie de Peter Jackson et des références héritées du manga. Ainsi, certains mouvements de caméra rappellent des scènes mémorables des Deux Tours quand d’autres séquences évoquent Hayao Miyazaki et particulièrement Princesse Mononoké (1997) – il faut voir la scène de l’oliphant affrontant un Guetteur des Eaux. Ce mix pas si improbable est soutenu par une très belle partition de Stephen Gallagher reprenant les thèmes emblématiques d’Howard Shore tout en y injectant d’autres sonorités plus orientales.

On éprouve un plaisir franc à retrouver les décors d’Edoras, d’Isengard et du Gouffre de Helm. Des décors familiers qui n’ont pas encore vécu les évènements du Seigneur des Anneaux, mais qui par la force de l’héritage qu’ils portent, drainent une puissance indéniable sur notre mémoire de cinéphile. Alan Lee et John Howe, les fameux illustrateurs de la Terre du Milieu, et Richard Taylor, le directeur créatif de Wētā Workshop, sont à l’œuvre et cela se ressent à chaque photogramme. Sur la réalisation en tant que telle, on peut néanmoins noter quelques petites errances visuelles. En effet, si l’animation des personnages est constante en qualité, celle des décors, générée en 3D, est quelque peu instable, notamment dans les séquences d’action comme celle d’une course poursuite dans une forêt. Ce n’est pas dommageable pour le film dans son ensemble, mais pour une œuvre qui se distinguait par l’idée d’essayer un style marqué d’animation, c’est un chouïa regrettable. In fine, et même si cela vient contredire notre satisfaction de retrouver cette version de la Terre du Milieu, La Guerre des Rohirrim n’aurait-il pas gagné à affirmer davantage sa singularité de japanimation ? On comprend qu’il faille se rattacher à la franchise mère, et on est heureux de retrouver ses codes tels que l’introduction, mais c’est évidemment une question qui reste en suspens en fin de séance.

Hera et son père dans le Palais d'Edoras dans le film la Guerre des Rohirim

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Reste que le film est d’une folle générosité et propose de véritables moments de cinéma. La Guerre des Rohirrim essaye – comme dans ce passage quasi horrifique où Helm Poing-de-Marteau devient une menace y compris pour les siens – et réussi beaucoup. Et dans un climat où les franchises s’éparpillent dans tous les sens au mépris de la qualité, et où la marque-même du Seigneur des Anneaux est mise à mal par une série qui navigue à vue, cette nouvelle proposition fait le job et un peu plus, par petites touches. Sur le fond, elle vient même enrichir le background d’un peuple, celui du Rohan, à la faveur d’un nœud dramatique éminemment shakespearien qui ne lésine pas sur la noirceur sans jamais citer Sauron ou Morgoth, les ennemis emblématiques. On espère juste que cette nouvelle incursion dans le monde de Tolkien à la sauce Peter Jackson gardera son aura et son caractère exceptionnel en ne se dispersant pas en une multitude de projets annexes. On sait que La Chasse de Gollum (Andy Serkis, 2026) viendra raconter un chapitre se déroulant pendant La Communauté de l’Anneau (2001) et qu’un autre film, dont on ne sait rien pour le moment, est sur les rails, donc il est permis d’avoir peur. Mais si la sincérité et la satisfaction sont, comme dans La Guerre des Rohirrim, toujours présentes, alors nous ne manquerons pas de nous replonger sans bouder notre plaisir. En attendant, nous aurons l’occasion de pester contre la saison trois des Anneaux de Pouvoir


A propos de Kévin Robic

Kevin a décidé de ne plus se laver la main depuis qu’il lui a serré celle de son idole Martin Scorsese, un beau matin d’août 2010. Spectateur compulsif de nouveautés comme de vieux films, sa vie est rythmée autour de ces sessions de visionnage. Et de ses enfants, accessoirement. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/rNJuC

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