La Espera (2024), le nouveau film de Francisco Javier Gutiérrez – qui avait déjà fait ses preuves sur le terrain de l’horreur – sort enfin en France par l’entremise de la plateforme Shadowz. Un retour sur ses terres andalouses qui relance tous nos espoirs placés en lui, avant sa petite incartade américaine, lors de la sortie de 3 Dias (2008).
Pour une poignée de pesos
Francisco Javier Gutiérrez est déjà une petite pointure dans le milieu du genre ibérique. 3 Dias avait marqué les esprits tant et si bien que, comme beaucoup de réalisateurs européens, l’appel hollywoodien n’a pas tardé à se faire entendre. Ce sera pour Le Cercle : Rings (2017), faisant suite au remake Le Cercle (Gore Verbinski, 2002), et ce sera un échec artistique. Gutiérrez revient donc en Andalousie, région du sud de l’Espagne, pour retourner aux origines de son cinéma avec La Espera. Dans la campagne andalouse des années 70, Eladio est embauché en tant que jardinier du domaine de Don Francisco. Il s’installe avec sa femme et son fils pour y travailler et gérer les nombreuses parties de chasse qui y ont lieu. Analphabète et vivant plus que modestement, il accepte un pot-de-vin afin d’augmenter le nombre de stations de chasse de dix à treize, ce qui compromet la sécurité du domaine. Durant cette partie de chasse, son fils est tué d’une balle, et accablée par le chagrin, sa femme se suicide peu après. Eladio, seul et rongé par la culpabilité, sombre peu à peu dans la folie et dans un esprit de revanche.
La Espera, qui signifie « l’attente », prend le temps d’installer ses enjeux, ses personnages et une horreur pernicieuse. En ne quittant que très rarement le point de vue d’Eladio, nous sommes invités à plonger avec lui dans des méandres épouvantables. La caméra de Gutiérrez et de son fidèle chef opérateur Miguel Angel Mora étire le temps et les espaces pour y laisser pénétrer les possibles. On passe alors de magnifiques plans larges sur des décors andalous à des plans très serrés scrutant les traits usés de notre antihéros. Dans un même mouvement, le cinéaste espagnol nous raconte cette Espagne livrée à elle-même et le portrait de cet homme brisé. À ce petit jeu, son entreprise est réussie : en se réappropriant des paysages souvent travestis pour incarner l’ouest américain et encore Westeros, La Espera se forge ses propres identité et mythologie. On pense beaucoup au travail de Rodrigo Sorogoyen sur As Bestas (2022), à son atmosphère poisseuse et son monde désolé. La précision des cadrages et les subtilités de montage viennent, elles, accentuer notre empathie avec Eladio. On suit le moindre de ses regards, de ses gestes, même les plus moralement douteux. Dans ce monde sans règles, le film imprime un style et une démarche singulière.
Quant à l’horreur en tant que telle, elle s’immisce d’abord par petites touches mais prend réellement un tournant surprenant dans le dernier tiers du long-métrage. On voit d’abord des images crues comme la découverte du corps de la femme d’Eladio dévoré en partie par des sangliers, puis on rentre peu à peu dans une dimension plus fantastique à mesure que les fantasmes du personnage principal prennent le pas sur sa perception. Un cauchemar nous invite même à revivre la transformation du Loup-Garou de Londres (John Landis, 1981) de manière plutôt convaincante. Ce sont surtout les dix dernières minutes, au bout du mystère de La Espera, qui renvoient clairement à Angel Heart (Alan Parker, 1987) et à la confrontation Mickey Rourke/Robert De Niro. L’allégorie religieuse, forcément présente dans l’Espagne catholique des années 70, et à plus forte raison avec des thèmes comme la mort, l’avidité et la culpabilité, est ainsi pleinement assumée. Tout n’est pas parfait dans l’utilisation de ces ressorts – on navigue franchement à vue par moments – mais Francisco Javier Gutiérrez a le mérite d’essayer des choses et de faire cohabiter le genre avec une peinture sociale vraiment habile et touchante. Une radicalité toujours sur le fil, à l’instar de When Evil Lurks (Demian Rugna), autre production d’horreur hispanophone sorti cette année.
Si cet équilibre tient, au-delà des qualités cinématographiques évidentes de La Espera, c’est bel et bien en grande partie lié au talent d’interprétation de Victor Clavijo, déjà présent dans 3 Dias, qui compose un Eladio incroyable. De toutes les scènes ou presque, difficile de ne pas ressentir une identification pour cet homme piétiné par les riches et par sa propre culpabilité. Comme la caméra le filme sous tous les angles et avec une même empathie, on ressent tout avec lui et on termine la projection éprouvé par autant de noirceur. La Espera est donc enfin disponible en France sur Shadowz et on ne saurait vous recommander ce film, tragédie familiale, western, film d’horreur et métaphore d’un deuil impossible, dont vous ne ressortirez pas indemne. Les images de Francisco Javier Gutiérrez risquent de vous hanter longuement après visionnage prouvant que l’Espagne est toujours une terre où se produisent de jolies choses sur le terrain du cinéma de genre !