Le monde n’existe pas


En adaptant le roman de Fabrice Humbert, Erwan Le Duc en profite pour passer du grand au petit écran, histoire de distiller sur quatre épisodes toutes les étrangetés faisant sa singularité. Rendez-vous donc à Guerches-sur-Isoire pour une enquête où les codes habituels du genre sont détournés avec générosité, drôlerie et onirisme : critique de la mini-série Le monde n’existe pas.

Niels Schneider, les mains jointes, debout, est pensif devant un mur de tag bleu dans Le monde n'existe pas.

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En finir avec Adam Vollmann

Une jeune femme en chemise rouge et short de basket jaune et bleue s'apprête à danser devant un mur indiquant des horaires d'ouverture ; scène de la mini-série Le monde n'existe pas.

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Avant d’entamer un virage où la réalité semble s’effriter, Le Monde n’existe pas (Erwan Le Duc, 2024) démarre comme une enquête classique. Elle fait d’ailleurs penser à Un Homme en fuite (Baptiste Debraux, 2024) dont nous vous parlions dernièrement et qui racontait un retour au village d’enfance sur fond d’investigations policières. Ici, c’est Adam Vollmann, interprété par Niels Schneider, journaliste pour un média en ligne, qui insiste auprès de son rédacteur en chef pour être envoyé à Guerches-sur-Isoire afin de couvrir le meurtre de Lola, une jeune adolescente, par Axel Challe, un prof de tennis. S’il est décidé à s’occuper de ce cas, c’est qu’il est originaire du village et qu’Axel est son ami/amour d’adolescence. Une fois sur place, Adam cherche moins à rendre ses articles en temps et en heure qu’à vouloir retrouver son ami pour, peut-être, l’innocenter. Il se s’approche alors des habitants – liés à l’affaire et/ou anciens tortionnaires de son enfance – quitte à remuer des secrets que personne ne souhaite voir révélés. La vie à Guerches-sur-Isoire dévoile peu à peu ses aspects les plus inquiétants mais aussi, et surtout, sa fantaisie.

Car Erwan Le Duc, c’est le réalisateur derrière Perdrix (2019) et La Fille de son père (2023), soit deux films parmi les propositions les plus originales que le cinéma français nous a offert ces dernières années. Avec ces deux long-métrages, il détournait des genres bien codifiés – l’enquête policière, déjà, et le drame sur la filiation – en y injectant une folie douce singulière : un amour des patronymes franchouillards, des situations à la limite d’un drôle de malaise et une mise en scène aérienne sont autant de marqueurs de sa poésie latente que l’on retrouve dans Le Monde n’existe pas. Avec un sujet a fortiori plus sombre, il trouve néanmoins le moyen de faire exister des motifs – la parenté et l’amour en tête – déjà présents dans Perdrix et La Fille de son père. Ici, son héros est éloigné des standards de Le Duc, mais c’est dans les habitants de Guerches-sur-Isoire qu’il projette sa fantaisie. Alors les situations drôlissimes – on pense notamment à l’arrivée de Fafa dans la série qui apporte une véritable bouffée d’air ou à la répartie bien sentie de Sarah – permettent de faire respirer une histoire bien tragique.

En creux, l’histoire d’Adam Vollmann rappelle celle d’Édouard Louis, racontée depuis En finir avec Eddy Bellegueule (2014) soit la fuite vers Paris d’un homme, homosexuel, brutalisé et venant d’une famille dysfonctionnelle qui préférera changer de nom pour rebooter sa propre vie. Derrière ce corps massif et sculpté comme un rempart contre ses anciennes souffrances, Adam fait comme le romancier : revenir, non par le biais d’un objet littéraire, plutôt un retour physique, sur les lieux mêmes qui sont à la source de ses traumatismes. Tout à coup, derrière la fantaisie vient poindre une analyse fine et pertinente sur la filiation et la reproduction sociale. Niels Schneider donne sa silhouette et sa gueule à ce personnage avec un mélange tout en nuances de fragilités et de force brute. Ne laissant rien transparaître, il oblige le spectateur à imaginer ses motivations, la série gagnant en pouvoir de suggestion malgré la présence de flashbacks pas toujours très utiles bien que correctement amenés par la mise en scène d’Erwan Le Duc, toujours inspirée.

Dans un salon au sol et aux canapés verts, Niels Schneider regarde un écran de télévision hors-champ tandis qu'un amas de boîtiers de cassettes vidéos traîne devant lui ; scène issue de la mini-série Arte Le monde n'existe pas.

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Le casting de la série est particulièrement savoureux, Niels Schneider en tête donc. Toute une galerie de seconds rôles vient donner corps à tous ces personnages hauts en couleurs : Julien Gaspar-Oliveri est à tomber dans son rôle mi-inquiétant, mi-loufoque de vidéaste municipal ; Anne Rotger s’amuse à casser l’image de la mère éplorée à coup de situations décalées ; Maud Wyler, fidèle du cinéma d’Erwan Le Duc, est quant à elle déconcertante sous les traits de Sarah, la femme du fugitif. Arte, qui produit Le Monde n’existe pas, prouve encore une fois la richesse du genre policier dans nos contrées. On se souvient notamment de De Grâce (Maxime Crupaux & Baptiste Fillon, 2024), dont la série de Le Duc partage le cadre nordique, et de Polar Park (Gérald Hustache-Mathieu, 2023). Le Monde n’existe pas se situe à l’interstice de ces deux œuvres télévisuelles, embrassant des codes bien ancrés du genre policier pour mieux leur tordre le cou en y apportant une sincère bizarrerie.


A propos de Kévin Robic

Kevin a décidé de ne plus se laver la main depuis qu’il lui a serré celle de son idole Martin Scorsese, un beau matin d’août 2010. Spectateur compulsif de nouveautés comme de vieux films, sa vie est rythmée autour de ces sessions de visionnage. Et de ses enfants, accessoirement. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/rNJuC

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