The Appointment


Longtemps estimé perdu, The Appointment (Lindsay C. Vickers, 1981), téléfilm horrifique culte britannique a finalement resurgi des archives au gré de longues recherches. Sorti pour la première fois en salle et en édition physique en France en 2023 par les Films du Camélia, il est temps de redécouvrir ce film qui à bien des égards incarne l’exemple parfait du « film maudit ».

Edward Woodward au volant de sa voiture regarde derrière lui d'un air inquiet dans le film The Appointment.

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Un pas dans la mauvaise direction

Joanne regarde son père avec amour, lors d'une séquence du film The Appointment où ils parlent dans un parc, assis.

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The Appointment n’est probablement pas le plus célèbre représentant de la british horror. Pourtant il correspond parfaitement à la définition d’un film culte, dans le sens premier du terme, c’est-à-dire un long-métrage très apprécié par un nombre relativement restreint de personnes. De fait, avant sa restauration et sa ressortie récente, les opportunités de le visionner étaient assez limitées. Produit en 1981, The Appointment était pensé comme le premier d’une série de téléfilms horrifiques intitulée A Step in the Wrong Direction (un pas dans la mauvaise direction). Écrit et réalisé par Lindsay C. Vickers, qui avait auparavant réalisé quelques courts métrages d’horreur, le projet est pensé comme un « téléfilm luxueux », mettant notamment en scène l’acteur Edward Woodward, incarnant déjà le protagoniste d’un des joyaux de la folk-horror, The Wicker Man (Robin Hardy, 1973). C’est là que les choses se gâtent : l’équipe de production rentre en conflits, la série de film est abandonnée, et il ne reste que The Appointment, comme unique témoin de cette tentative de production horrifique britannique prévue pour la télévision anglo-saxonne. Le long-métrage va alors prendre tous les atours du « film maudit ». Diffusé une poignée de fois au début des années 90, régionalement à la télévision britannique, disponible en VHS en vidéo-club, le film va presque entièrement s’évaporer. Le réalisateur lui-même ne pourra pas voir son travail à la télévision, sa ville étant victime de coupures d’alimentation au moment de sa diffusion ! Les masters originaux disparaissent sans laisser de traces. Pendant des années seuls quelques rips VHS (mécaniquement, de mauvaise qualité) seront disponibles. Pourtant une poignée d’acharnés ayant eu la chance de découvrir le film à la télévision vont se mettre en quête d’une copie. Dans les années 2020, enfin, la chance sourit aux cinéphiles enquêteurs, et une copie positive est retrouvée dans les archives Sony, donnant lieu à une restauration et à la ressortie en salle et en Blu-Ray dans une version de plutôt bonne qualité.

Cette aventure rocambolesque devient un brin plus vertigineux lorsque l’on s’aperçoit que cette histoire du médium fait mystérieusement écho à l’histoire du film. The Appointment commence par une disparition. Une jeune fille, après une répétition de musique, disparaît mystérieusement dans les bois environnants. Puis on suit l’histoire de la famille Fowler, plutôt bourgeoise à en juger par leur immense maison. Ian, le père, se désole : un rendez-vous de travail à quelques centaines de kilomètres l’empêchera d’être là pour le récital de sa fille adorée, Samantha. Jane, la mère, est très perturbée par l’attitude de sa fille lorsque, en apprenant la nouvelle, celle-ci devient inconsolable et se met dans une colère noire. Bien loin d’être un film d’horreur très démonstratif (on n’aura ici ni jumpscare, ni effusion de sang), l’effroi the The Appointment commence là : dans cette nuit, toute la famille est agitée. Ian et Jane sont perturbés par les mêmes rêves, Ian dans une voiture, subitement attaqué par une meute de chien le faisant sortir de la route, dans un ravin. Plus perturbant peut-être encore, juste avant de se coucher Ian reste bloqué devant la porte de sa fille, comme poussé par une puissance inconnue à aller la voir. Celle-ci semble l’attendre, comme si Ian devait impérativement aller à son chevet, comme pour le retenir, l’empêcher de partir. Le long-métrage va ensuite continuer à travailler ces motifs, tout du long. Ces chiens, comme des mauvais oracles, qui tournent autour de la maison familiale puis de la voiture. Ces longs trajets en voiture, lancinants, entêtants, sur des petites routes de campagne et de montagne… The Appointment est à n’en pas douter un film d’horreur qui va travailler l’angoisse sourde, plutôt que l’effroi ou le sursaut explosif. Toujours sur la crête, le film fait attendre. Ces mauvais rêves prémonitoires, cette mise en scène insistant toujours sur les mêmes plans et les mêmes motifs nous le disent : quelque chose va mal se passer. La question reste à savoir quand.

Une photo d'u père et sa famille enlacé est abandonnée sur l'herbe à côté de mots griffonnés sur du papier ; plan issu du film The Appointment.

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L’angoisse est d’autant plus prégnante que l’on ignore tout de son origine. Dans nos années 2020 où tout dans la production audiovisuelle doit être sur-expliqué, sur-appuyé, un film comme The Appointment dérange encore plus. Tout ici est esquissé, et c’est au spectateur de combler les trous pour comprendre l’origine de son malaise. Le fantastique n’est jamais mieux utilisé que comme cela : pour nous signifier qu’au fond, dans ce panorama qui pourrait avoir l’air bien banal, quelque chose cloche. C’est le motif du cimetière indien, ou de la black lodge chez Lynch. Un non-dit, un mal originel – au fond dans Twin Peaks, toute l’étrange cosmogonie, tous les phénomènes surnaturels ne sont utilisés que pour nous signifier une chose : quelque chose ne va pas dans la maison des Palmer qui pourrait être le foyer idéal, quelque chose ne va pas dans la bourgade qui pourrait être paradisiaque, et finalement quelque chose ne va pas dans ce pays américain, bâtî sur un génocide. Sans avoir l’ampleur ni la possibilité d’aller aussi loin que la série-monde de Lynch ou les meilleurs récits de Stephen King, on trouve dans The Appointment un mouvement similaire. Dans cette famille modèle britannique cossue et blanche, sans problème, quelque chose ne tourne pas rond. Doucement, quelque chose nous gêne dans cette relation père-fille, entre complexe d’Électre et élans de surprotection. Malgré des moyens restreints dus à ses contraintes de production The Appointment est un modèle pour son utilisation subtile du fantastique, comme vecteur pour nous révéler les forces et les angoisses invisibles de nos existences.


A propos de Martin Courgeon

Un beau jour de projection de "The Room", après avoir reçu une petite cuillère en plastique de plein fouet, Martin eu l'illumination et se décida enfin à écrire sur sa plus grande passion, le cinéma. Il est fan absolu des films "coming of age movies" des années 80, notamment ceux de son saint patron John Hughes, du cinéma japonais, et de Scooby Doo, le Film. Il rêve d'une résidence secondaire à Twin Peaks ou à Hill Valley, c'est au choix. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/riwIY

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