Pour son premier long-métrage de fiction, Anthony Cousins s’attaque à une véritable légende urbaine américaine : Frogman, une créature mi-homme mi-amphibien qui sèmerait la terreur dans l’Ohio. On comprend au fil du film que ce fan de cinéma de genres à décidé de réunir ses obsessions – found-footage, mythe lovecraftien et même hommage à scooby-doo – pour créer ce faux documentaire disponible sur Shadowz.
Crazy Frog
Dallas (Nathan Tymoshuk) est un jeune cinéaste amateur, régulièrement critiqué pour ses discours sur l’existence de la créature surnaturelle, Frogman, qui hanterait les marais de l’Ohio. La première bonne idée de ce film, que l’on retrouve dans de nombreux found footages, c’est de créer un parallèle troublant entre Anthony Cousins, réalisateur du film, et Dallas, réalisateur du film dans le film. Les deux sont hantés par des images vues durant l’enfance et souhaitent réaliser un film pour dompter et comprendre ce trauma. Pour Cousins c’est bien évidemment The Blair Witch Project (Daniel Myrick et Eduardo Sanchez, 1999), le film matriciel du genre, tandis que pour Dallas c’est un voyage en famille durant lequel il a vu Frogman. Ce parallèle entre les deux réalisateurs se poursuit tout au long du film et sert même d’explication à la grande question que l’on se pose devant les found footages : pourquoi est-ce qu’ils continuent de filmer ? La réponse qu’apporte Frogman est importante. Ils continuent de filmer car ils ne pourraient pas vivre sans. Une réponse poétique, qui permet de contourner l’un des grands pièges du genre. D’ailleurs si nous étions tatillons (et il se trouve que je le suis) nous reviendrions sur le fait que ce film n’est pas véritablement un found footage au sens d’un fichier vidéo retrouvé, puisqu’ici l’ensemble est monté de A à Z. Il y a des cuts humoristiques, des inscriptions ajoutées à l’écran et même des flashbacks, ce qui est tout à fait étrange puisqu’un “véritable” found footage se devrait plutôt d’être « intact », sans montage, altérations ou effets. On a parfois l’impression que le film n’assume pas complètement son concept puisqu’il cherche constamment à s’en éloigner, notamment durant le final où il va jusqu’à utiliser plusieurs caméras pour créer des champ-contrechamps. Drôle d’idée donc, pour Anthony Cousins, de commencer sa filmographie avec un found footage, c’est-à-dire une œuvre dans laquelle il doit effacer son style pour le remplacer par celui de Dallas, pour ne pas tout à fait finalement s’effacer derrière le dispositif de son genre et de son personnage… Malgré ces détails qui font de Frogman un found footage qui ne s’assume pas complètement, difficile de ne pas aimer ce long-métrage tant il traite admirablement de son sujet principal : le pouvoir des images. Celles qui hantent et celles qui réparent. En documentant son propre trauma Dallas réussit à faire en sorte que les nouvelles images créées – un voyage entre amis– remplacent le traumatisme de son enfance.
Là où notre intérêt pour Frogman ressurgit– une fois que l’on accepte que c’est un found footage pragmatique, parce qu’il s’agit surtout d’un genre moins cher à produire– c’est grâce aux références qu’il utilise. Blair Witch tout d’abord, notamment sur cette idée de filmer, donc de documenter, une véritable légende urbaine américaine. Il y a une vingtaine d’années, les réalisateurs de Blair Witch montraient d’ailleurs que l’un des points intéressants de ces mythes, c’est les locaux qui y tiennent, et qui entretiennent la légende en la racontant. Ici Anthony Cousins va plus loin encore puisque les habitants sont représentés comme avides d’argent, et utilisent la réputation horrifique de la ville pour générer du tourisme. Une séquence cite même Scooby-doo puisque lors d’une poursuite avec Frogman, Dallas le plaque au sol et lui retire sa tête, qui se révèle n’être qu’un masque porté par un habitant de la ville. Capitalisme : 1. Frogman : 0. L’enquête menée par Dallas et ses compagnons (sorte de Mystère et Compagnie revisitée) va donc se consacrer à délier le vrai du faux dans cette ville trompeuse… Mais donc la majeure partie du film est plutôt décevante : Cousins veut réaliser un found footage, mais pas trop non plus ; Dallas souhaite enquêter sur une créature horrifique, mais ce n’est qu’un homme en costume. De déception en déception on à l’impression que l’horreur n’adviendra pas. Elle profite justement d’un angle mort, le dernier acte du récit, pour arriver brutalement, et révéler le plein potentiel du long-métrage.
Dans le climax de Frogman, le réalisateur réussit enfin à assumer l’aspect horrifique de son œuvre. Le film de vacances entre amis laisse la place [Attention spoilers] à une véritable tuerie poisseuse. Les relations amoureuses entre les personnages, qui jusqu’ici ne nous passionnent pas des masses, ont soudain des conséquences catastrophiques sur leur santé. La jolie petite bourgade, avide d’argent, se transforme en secte, adoratrice d’un simili Cthulhu (la ville s’appelle d’ailleurs Loveland, en hommage à H.P Lovecraft). Les charmants marécages laissent place à des grottes obscures et claustrophobiques… La fin brutale et inattendue de Frogman se rapproche enfin de l’essence même des found footage.