Après un passage aux festivals d’Annecy, du film fantastique de Strasbourg ou encore à la Berlinale, Sky Dome 2123 est sorti dans nos salles françaises dans l’indifférence la plus totale. Premier long-métrage d’un duo hongrois, Sarolta Szabó et Tibor Bánóczki, ce petit bijou d’animation est pourtant peut-être la pépite de science-fiction de l’année.
Engrainage
Dans un futur proche où la planète est ravagée par la crise climatique, l’humanité s’est retranchée sous un dôme. La vie y est régulée et connaît une date d’expiration : à cinquante ans, chaque individu se voit planter une graine dans le cœur et est entreposé dans une usine pour devenir un arbre. Nora, qui veut mettre fin à ses jours, se livre prématurément au rituel mais son mari, Stefan, refuse la situation et tente de la sauver, quitte à braver le système. Dès sa première séquence, Sky Dome 2123 annonce une réflexion conséquente. Une caméra en plan zénithal descend progressivement au même rythme que le lever du soleil vers une place divisée en deux par une route à la destination inconnue. Des individus s’y rejoignent, jusqu’à ce que se déploie une multitude d’arbres holographiques. Moment suspendu… Le film s’ouvre sur un début de journée, symbolique du début d’un cycle. La mise en scène – probablement due à la stoïcité de l’animation 3D – dégage pourtant quelque chose de mécanique, presque programmatique, désincarné. Plus tard, nous apprendrons que cette route est uniquement empruntée par les convois transportant les humains engrainés vers les usines, et les individus qui se réunissent sur la place sont des proches venus leur rendre un dernier hommage. Un haut-parleur le rappellera : la vie ne dure que quelques 18 000 jours. Quand notre survie dépend de mesures, de calculs, chronométrages, et que nos existences répondent à une fonction, que reste-t-il du libre arbitre ? Vivons-nous vraiment ?
Derrière ces questionnements touffus, Szabó et Bánóczki hyperbolisent une inquiétude viscérale, celle de l’extinction de notre espèce des conséquences de la crise climatique. La vie à l’intérieur du dôme n’est que reproduite, fictionnelle, un simulacre comme ces arbres numériques ou un repas au restaurant fait de gelée abstraite. Elle fonctionne en vase clos, comme ces personnages toujours dans des capsules, des pièces exigües, ou ces enfants dont Stefan, dans son cabinet de psychologie, accompagne les deuils précoces. Dehors, entre les carcasses de bateaux évoquant le fantôme d’un océan ou les ruines d’une ville décimée par une crise sanitaire que l’histoire a tenu à effacer, tout n’est que vestiges. La modernité du dôme, oscillant entre bâtiments aux allures brutalistes et intérieurs futuristes minimalistes, n’est qu’œillère. Alors que l’humanité semble être arrivée à sa fin, ne faisant que prolonger l’agonie d’une vie dénuée de sens et de motivation, Stefan et Nora, deux budapestois ordinaires, relaient Adam et Eve en devenant métaphoriquement le dernier couple de l’humanité. Nora, en décidant de se laisser mourir, et Stefan en cherchant à tout prix à la sauver, deviennent des incarnations du renoncement et de la volonté. Marqués par la perte de leur enfant, c’est l’avenir de notre espèce qui se joue symboliquement.
La nature, entièrement décimée, a orienté un scientifique vers la conception d’une graine qui utilise nos corps comme engrais. Si la critique écologique de l’exploitation de nos ressources est évidente, l’intérêt du récit semble plutôt se tourner vers ce que le thème de l’hybridation peut déployer politiquement comme esthétiquement. Plus ou moins discrètement, Sky Dome 2123 mute sous nos yeux. Se voulant être un conte philosophique, il traverse différents genres – la science-fiction, le drame, le film d’infiltration, le road movie… – de même que le ton évolue – la tension durant une première partie dans le dôme laisse place, une fois les protagonistes échappés, à une contemplation mélancolique. L’animation aussi joue de son hybridité, autant par la nature même de ses personnages en rotoscopie – décalques de dessins numériques sur des prises de vue réelles de comédiens – qu’en les couplant à des décors en 3D. Aussi, si la rotoscopie pourrait accentuer ce sentiment d’imitation, de simulation du réel, c’est au contraire en contraste des décors que la technique traduit une pulsion de vie, un gigotement constant du trait telle une danse incessante.
De la même façon, l’hybridation entre l’humain et la nature invoque une réflexion sur le rapport que nous entretenons avec elle. Après avoir détruit l’écosystème, l’être humain devient la dernière ressource exploitable à industrialiser. Pas même pour survivre, mais bien maintenir un confort, une fantaisie ! Ainsi assistons-nous à une scène où le patron, en faisant goûter une feuille à Stefan, peut décrire la personne ici sacrifiée, de son apparence à sa personnalité, de son vécu. Ces feuilles, plus qu’un code ADN – et logo de cette nouvelle société –, sont littéralement marquées de l’empreinte digitale de l’individu, et s’apprêtent à être commercialisées comme des bonbons. Toutefois ces arbres, confinés, ont une durée de vie de trois ans après quoi ils deviennent mortellement toxiques et sont brûlés pour éviter tout risque de propagation d’un néo-écosystème mutant qui nous serait fatal. Dans ce jeu de funambule, Docteur Madu, une scientifique supervisant le développement de ces biotechnologies, cherche un juste milieu en expérimentant sur elle-même la possibilité d’une cohabitation entre plantes et chair. En soulevant sa manche, elle révèlera à Stefan un bras dont la pilosité verdoie de petites feuilles, telles des plumes. Tandis que Nora, qui développera la capacité de parler aux arbres, introduira la notion de communication, promesse d’une relation plus horizontale.
Dans cette course contre la montre, Szabó et Bánóczki anticipent ce que pourrait être notre avenir proche. Cet univers post-apocalyptique plausible – grâce aux conseils de scientifiques – est la conséquence d’un constat âpre et dur à accepter : pour eux, l’apocalypse, c’est maintenant. Loin d’un imaginaire divertissant du genre nous mettant à distance de notre réel – La Planète des singes : Le Nouveau Royaume (Wes Ball, 2024), Furiosa : une saga Mad Max (Georges Miller, 2024) ou même la série Fallout (Geneva Robertson-Dworet, Graham Wagner, 2024) rien que ces derniers mois – Sky Dome 2124 assume la radicalité inconfortable d’une histoire qui prône la repentance au détriment de la victoire. Mais loin d’un défaitisme couplé d’un pessimisme mortifère qui parviendrait à achever les moins éco-anxieux, le parcours de Nora et Stefan est une invitation à la contemplation douce-amère de l’éphémère, tout autant qu’un appel à l’amour et à la vie, à sortir du dôme pour éviter à tout prix de prendre racine.