Tentacules


Les monstres marins connaissent, pour le meilleur et pour le pire, un regain de succès ces dernières années (En eaux troubles, Jon Turteltaub, 2018 et sa suite, pour ne citer qu’un exemple), notamment grâce à la démocratisation des images de synthèse. Si requins et assimilés ont toujours occupé une place de choix parmi les bébêtes aquatiques qui font des humains leur casse-croûte, il en existe d’autres tapies dans les profondeurs océaniques. Rimini Editions donne aujourd’hui un coup de neuf àTentacules (Ovidio G. Assonitis, 1977), variation italo-américaine dans laquelle les dents acérées sont remplacées par des appendices à ventouses.

Plan sous-marin sur une immense pieuvre dans le film Tentacules.

© Tous droits réservés

Chair de Poulpe

Bob Hopkins embrasse un des orques qu'il a dans son parc aquatique dans le film Tentacules film.

© Tous droits réservés

Très vite, conformément aux habitudes du cinéma bis, le requin géant de Steven Spielberg a engendré dans son sillage toute une progéniture aquatique telle l’honorable Orca (Michael Anderson, 1977) mais aussi de purs produits d’exploitation comme Les Mâchoires infernales (William Grefé, 1976), Les dents d’acier (René Cardona Jr., 1977), Piranhas (Joe Dante, 1978) ou encore Barracuda (Harry Kerwin et Wayne Crawford, 1978). Les pieuvres géantes quant à elles avaient déjà connu une époque glorieuse, notamment au travers des adaptations des romans de Jules Verne, comme 20 000 lieues sous les mers (Richard Fleischer, 1955) ou L’île mystérieuse (Cy Endfield, 1961) mais aussi dans le cinéma fauché, à l’image de Monster from the Ocean Floor (Wyott Ordung, 1954) ou Le Monstre vient de la mer (Robert Gordon, 1956). Tentacules se situe entre les deux : le casting, principalement composé d’anciennes gloires, est assez prestigieux mais on a parfois l’impression que le budget a été englouti en grande partie dans leur salaire et qu’ils font le minimum syndical. Ce qui est certain, c’est que ce n’est pas l’écriture du scénario qui a vidé les caisses, celui-ci suivant une trame pas franchement originale et assez prévisible, à commencer par des morts inexpliquées à Ocean Beach, une ville côtière de Californie. Lors d’un moment d’inattention de sa mère, un jeune enfant disparaît du rivage. Un marin unijambiste subit le même sort et son corps atrocement mutilé est découvert par un couple de jeunes qui fricotent sur une barque. Deux plongeurs en exploration y passent également. Ned Turner (John Huston), un vieux journaliste qui vit avec une sœur exubérante (Shelley Winters), porte ses soupçons sur les activités de Mr. Whitehead (Henry Fonda), un homme d’affaires dont la société mène des expériences sous-marines. Durant son enquête, il rencontre Will Gleason, un océanographe (Bo Hopkins) qui s’est pris d’affection pour deux orques. En cherchant des points communs entre les victimes d’une supposé créature marine, Turner finit par déduire que celle-ci semble être attirée par les ondes radio. Or une régate à laquelle participe des enfants vient de prendre le départ…

Ce n’est pas la première fois qu’Ovidio Assonitis surfe sur le succès d’un film puisqu’en 1974, il réalise Le Démon aux tripes, très fortement inspiré de L’exorciste (William Friedkin, 1973). Ce qui donne à Tentacules sa particularité, c’est à la fois une brochette de stars à la retraite qui n’ont pas toujours l’air de savoir ce qu’elles font là et une ambiance tout à fait singulière. Cette dernière naît principalement de la conjonction de deux facteurs. Tout d’abord, il y les choix de mise en scène parfois saugrenus d’Assonitis, à qui on reconnaît plus volontiers ses qualités de producteur opportuniste que de réalisateur. Il cherche ainsi à placer çà et là des effets de style dont on peut raisonnablement questionner la pertinence. Un comble pour celui qui remerciera James Cameron sur le tournage de Piranha 2 – Les Tueurs volants (1978) sous le prétexte qu’il expérimentait de trop… Parmi ses lubies arty, on citera une propension à filmer les pieds pendant les dialogues, l’utilisation d’images fixes lors de l’attaque du monstre pendant la régate, ou encore ce long travelling inutile de trois minutes, illustré par une mélodie bucolique, qui emmène le spectateur sur le port où Gleason vient d’apprendre que sa femme a été victime de la créature. A l’image de cette séquence, la partition de Stelvio Cipriani est souvent en décalage complet avec ce qui se passe à l’écran. Les festivités qui précèdent le départ de la course s’accompagnent d’une musique qui ne déparerait pas dans un film de Louis de Funès ou un épisode de La croisière s’amuse. Quant à celle qui rythme le combat entre les orques et le poulpe géant (auquel on assiste fugacement pour des raisons évidentes de budget), elle évoque davantage par son orchestration et ses chœurs masculins une chevauchée wagnérienne qu’une lutte à mort entre des animaux marins. Ces incongruités s’ajoutent à une histoire bancale qui, c’est le cas de le dire, finit en queue de poisson. Toute une partie de l’intrigue est balayée d’un revers de main. Ainsi on ne saura rien des « expériences » menées par l’entreprise de Whitehead, qui auraient conduit à l’émergence du monstre. Idem en ce qui concerne l’enquête de Turner, qui passe totalement à la trappe. Quant à Will Gleason, après avoir perdu sa femme, il décide en grand écologiste amoureux des animaux de… Partir en safari chasser l’éléphant avec son ami ! Paradoxalement, cette ambiance décalée, les incohérences du scénario, le tout conjugué à des scènes sous-marines tout de même assez réussies et une créature (la plupart du temps un poulpe filmé de près) qui brille par son absence, contribuent à rendre attachante cette curiosité filmique. En tous les cas, les acteurs y ont semble-t-il trouvé leur compte puisqu’Assonitis produira deux ans plus tard Le visiteur maléfique (réalisé par Giulio Paradisi), autre ovni cinématographique avec les mêmes John Huston et Shelley Winters.

Blu-Ray du film Tentacules proposé par Rimini Editions.On se souvient du DVD sorti par Neo Publishing en 2006, et son boîtier à la pochette réversible où l’inquiétante bestiole figurait en hologramme. Le combo Blu-Ray/DVD de Rimini ne comporte pas davantage de compléments que son prédécesseur mais quelques minutes supplémentaires et une copie plus propre avec des couleurs plus naturelles. Il est accompagné d’un beau livret de 24 pages rédigé par Marc Toullec et propose trois options de langage : le doublage français ainsi que les versions anglaise et italienne sous-titrées, de quoi accorder une nouvelle chance à Tentacules.


A propos de Jean-Philippe Haas

Jean-Philippe est tombé dans le cinéma de genre à cause d’Eddy Mitchell et sa Dernière Séance, à une époque lointaine dont se souviennent peu d’humains. Les monstres en caoutchouc et les soucoupes volantes en plastique ont ainsi forgé ses goûts, enrichis au fil des ans par les vampires à la petite semaine, les héros mythologiques au corps huilé, les psychopathes tueurs de bimbos et les monstres préhistoriques qui détruisent le Japon. Son mauvais goût notoire lui fait également aimer le rock prog et la pizza à l’ananas. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/ris8C

Laissez un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

onze + dix-sept =

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.