L’Homme au pousse-pousse


Après la ressortie, en salles puis en vidéo, de sa Trilogie de Musaishi, Carlotta Films ressort en édition physique deux films en un de Hiroshi Inagaki : L’Homme au pousse-pousse. Une déclinaison en deux temps, entre 1943 et 1958 – cette dernière version récompensée d’un Lion d’Or à Venise – d’un récit romanesque et chaleureux sur la parentalité.

Vu en ombre chinoise, une silhouette masculine conduit un pousse-pousse ; en surimpression, une roue de pousse-pousse ; plan issu du film L'homme au pousse-pousse.

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Père qui roule n’amasse pas frousse 

Adaptés du roman Matsugoro de Shunsaku Iwashita, les deux versions de L’Homme au pousse-pousse, à l’instar d’un Elle et lui (Leo McCarey, 1939 & 1957), narrent la même histoire à quinze ans d’intervalle. Celle, dans la préfecture de Kokura sur l’île de Kyushu, à l’orée du XXe siècle, du conducteur de pousse-pousse Matsugoro dont la bonhomie n’a d’égale que sa bonté et son tempérament volcanique. Grande gueule, grand cœur, habitué à rire, grogner et se battre, mais néanmoins seul, il roule sa bosse jusqu’à tomber sur le jeune Toshio Yoshioka, blessé. Faisant la rencontre de la mère et du père de l’enfant, Matsugoro leur offre ses services de conducteur et trouve en même temps une place, malgré leur différence de classe sociale, au sein de cette famille. Lorsque le drame survient, la mort foudroyante du père de Toshio, Matsugoro, déjà profondément attaché aux Yoshioka, va se substituer père pour l’enfant. Pilier taquin mais serviable de cette famille, les années passent et Matsugoro ne peut être éternellement une figure paternelle pour Toshio qu’il voit s’éloigner naturellement.

Plan rapproché américain sur le conducteur de pousse-pousse, de profil, qui tient son moyen de locomotion, à l'arrêt, regardant le ciel avec un sourire dans le film L'homme au pousse-pousse.

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La première version de L’Homme au pousse-pousse trouve son incarnation dans le jeu plus pantomimique de Tsumasaburo Bando, originellement acteur de théâtre kabuki, que son successeur dans le rôle-titre. Matsugoro reste bagarreur et exulte une grande bonté d’âme, mais il découle de son jeu une forme de théâtralité qui entrave quelque peu la profondeur du personnage. En revanche, cette version de 1943 bénéficie d’une composition très sophistiquée, signée par le chef-opérateur Kazuo Miyagawa, derrière une myriade de chefs-d’œuvres du cinéma japonais : Rashomon (A. Kurosawa, 1950), L’Intendant Sansho (K. Mizoguchi, 1954), Herbes Flottantes (Y. Ozu, 1959), Silence (M. Shinoda, 1971, pas le Scorsese) ou encore Tatouage (Y. Masamura, 1966) pour n’en citer qu’une poignée. La mise en scène d’Inagaki sur cet opus, plus posée, donne à cette version de L’Homme au pousse-pousse un classicisme qui exacerbe l’humanisme de son récit. Pour explorer davantage l’histoire méconnue de ce film, l’édition vidéo a le bon goût de proposer un documentaire instructif : Les Roues du Destin : l’histoire de « L’Homme au pousse-pousse » d’Ema Ryan Yamazaki, qui suit le parcours du directeur de la photographie Masahuro Miyajima dans la restauration du film de 1943.

A contrario, la version de 1958 tend plus vers le mélodrame. Le passage à la couleur aidant, le travail photographique de Kazuo Yamada – qui a signé entre autre l’extraordinaire photo de Rébellion (M. Kobayashi, 1967) – gorgé de couleur chaudes, notamment dans les passages sur l’enfance de Matsugoro, gagne en superbe et donne un écrit plus réconfortant au film. De même, la mise en scène d’Inagaki gagne en dynamisme que ce soit dans la composition des cadres, les mouvements de caméra, les chorégraphies comiques ou d’action, tout paraît plus fluide. À cela s’ajoute le rôle principal de Matsugoro, tenu dans cette version par l’inénarrable superstar Toshiro Mifune, magistral dans ce rôle gouailleur, explosif, et d’une grande sensibilité, Les deux Blu-Ray des films L'homme au pousse-pousse édités par Carlotta.qui n’est pas sans rappeler son personnage de Kikuchiyo dans Les Sept Samouraïs (A. Kurosawa, 1954). Si elle colle au film de 1943, cette nouvelle version de L’Homme au pousse-pousse s’illustre également par son ajout d’une intrigue supplémentaire : le rapprochement entre Matsugoro et Yoshiko, la mère de Toshio. Sorti en 1943, en pleine Deuxième Guerre Mondiale, la première version du long-métrage a été censurée et coupée de ce segment, les autorités voyant d’un mauvais œil un personnage comme celui de Matsugoro s’éprendre de la femme d’un officier. La version de 1958 peut aborder ce segment du récit, d’autant plus important qu’il souligne la solitude de Matsugoro.

Les deux L’homme au pousse-pousse partagent cependant de saisissantes expériences formelles. Transcendant leur forme classique, Inagaki dissémine tout au long du film des raccords saisissants et signifiants sur des plans de roues du pousse-pousse, où des apparitions surréalistes de fantômes. Mais à la fin de ces productions sœurs, ces bribes explosent dans des séquences finales psychédéliques extraordinaires, emplies de poésie : des troublantes mais remarquables conclusions qui valent largement à elles seules de poser ses yeux sur ces deux films japonais.


A propos de Pierre Nicolas

Cinéphile particulièrement porté sur les cinémas d'horreur, d'animation et les thrillers en tout genre. Si on s'en tient à son mémoire il serait spécialiste des films de super-héros, mais ce serait bien réducteur. Il prend autant de plaisir devant des films de Douglas Sirk que devant Jojo's Bizarre Adventure. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/rZUd2

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