Promising Young Woman


La chaleur de l’été revient comme chaque année en même temps que les gros relous qui jettent des regards assez peu discrets sous les mini-jupes des filles. Et si on prenait une leçon d’auto-défense avec l’héroïne badass de Promising Young Woman (Emerald Fennell, 2020) ?

Une femme blonde est assise dans un club vide, au milieu de larges fauteuils rouges, devant un miroir ; plan issu du film Promising Young Woman.

© Universal Pictures France

Pardonnez-leur ils ne savent pas ce qu’ils font

Cela fait maintenant déjà quelques années que nous sommes coutumiers d’un élan de féminisme qui atteint toutes les sphères de la société et notamment celle du cinéma. Chose plutôt logique sachant que cet élan a commencé avec l’affaire Weinstein. Après les divers mouvements #metoo et #balancetonporc l’industrie du cinéma semblait commencer sa mue, pour le meilleur une visibilité des réalisatrices plus importante mais aussi pour le pire – un remake de SOS Fantômes (Paul Feig, 2016) avec seulement des femmes ? Vraiment ? Beaucoup en profitent en effet pour se glisser dans la brèche de façon plus ou moins opportuniste, abreuvant le septième art de tout un tas de films qui n’ont de “féministes” que leur posture. Il faut réussir à trouver au milieu de cette avalanche de sorties ce qui peut apporter une plus-value non seulement au cinéma de manière générale mais aussi à la cause féministe. C’est dans ce contexte-là que se dévoile Promising Young Woman (Emerald Fennell, 2020), histoire de l’épopée vengeresse de Cassie (Carrey Mulligan) qui sort le soir pour dézinguer des mauvais garçons à la suite du viol de sa meilleure amie. La réalisatrice, Emerald Fennel, trente-cinq ans, rentre pile dans cette génération qui a connu ces années de machisme que personne ne remettait en cause tout en se voulant le moteur d’une révolution qui tendrait à affirmer, enfin, que le sexisme a trop duré. Et elle utilise pour appuyer son propos un genre qui a toujours laissé la part belle aux femmes fortes : le rape and revenge.

Carey Mulligan lit un livre dans une boutique, une paille dans la bouche, l'air enfantin dans le film Promising Young Woman.

© Universal Pictures France

Cette première partie purement rape and revenge est filmée de façon très neutre. Pas de musique dissonante pour dire au spectateur quand il doit être mal à l’aise, pas de gros plans sur le visage apeuré de la victime et/ou du dépravé tortionnaire, pas plus de filtre rougeoyant pour exagérer le danger, ou tendre le spectateur sur son fauteuil et le faire détourner les yeux. Au contraire, nous avons l’impression d’assister à une soirée “classique” entre un homme et une femme sans avoir cette position habituelle malsaine du spectateur-voyeur. C’est à ce niveau-là que Promising Young Woman est intéressant tant il détourne les codes d’un genre habituellement si balisé. Par ce traitement sans effets, le spectateur ne ressent pas le malaise normalement associé à ce genre de scène et pourtant, il est clair que nous avons bien affaire ici à des relations non consenties. Toutefois, la réalisatrice met tout en œuvre pour qu’on comprenne bien que Cassie n’est pas une victime. Elle la filme à la hauteur de ces mâles qui se liquéfient quand ils comprennent qu’elle n’est pas ivre (elle se fait passer comme telle pour mieux les piéger), parfois même au-dessus d’eux mais jamais en dessous. Et quand on y regarde de plus près, ces hommes n’ont rien de ces psychopathes de La dernière maison sur la gauche (Wes Craven, 1972). Ils n’ont pas non plus l’air de prédateurs parce qu’eux-mêmes sont justement persuadés de ne pas l’être. Et c’est bien cette nuance, cette impunité, que ces scènes veulent illustrer. A aucun moment ils ne semblent ressentir de la culpabilité, même quand Cassie leur met le nez dedans : la seule chose qu’ils éprouvent est la peur lorsqu’ils se rendent compte que leur victime peut être potentiellement dangereuse, comme s’ils n’étaient réduits qu’à de simples animaux doués d’instinct mais d’aucun sentiment, d’aucune morale.

Cassie s'approche d'un homme plaqué contre le mur, intimidé, dans le film Promising Young Woman.

© Universal Pictures France

Carey Mulligan, l’actrice qui incarne Cassie a pourtant tout du physique de petite fille délicate et “à protéger”, fine, de petite taille, portant des robes d’adolescente romantique. Le fait de rester habiter chez ses parents, dans sa chambre de princesse entourée de ses souvenirs d’enfance ne l’aide pas à grandir, elle ressemble à une fillette coincée dans un corps d’adulte. Sa meilleure amie disparue est illustrée de la même façon sur les photos, jamais nous ne verrons la Nina adulte qui reste à nos yeux une éternelle enfant imprimée sur du papier glacé. Même sa façon de s’habiller la ramène à la petite fille qu’elle était, comme si elle refusait ce corps de femme, ce corps qu’elle métamorphose pourtant le soir venu telle une super héroïne qui porterait une robe moulante au lieu d’une cape et de collants mais avec toujours sur les ongles cet éternel vernis pastel rassurant. Malgré ses apparats, Cassie reste crédible de bout en bout, elle maîtrise. Elle est toujours en position de force, n’a jamais peur que cela tourne mal. Elle est bien loin l’héroïne fragile de Drive (Nicolas Winding Refn, 2011) qui se laisse doucement embrasser dans un ascenseur par un Ryan Gosling viril et protecteur. Cette attitude rustre, limite anti-sociale qu’elle applique à l’ensemble de son entourage (surtout aux hommes) s’explique par cette amitié indéfectible qui a fini par se transformer en poison. Cassie a elle-même arrêté de vivre et de ressentir lorsque sa meilleure amie s’est faite violer. Des indices pour nous en apprendre davantage sur ce passé sont décimés au fil du récit : un chouchou par ci, un pendentif par là… Mais rien n’est jamais dit clairement. La pudeur du personnage et la lourdeur du souvenir traumatique qui la hante, planent sur l’ensemble de ce Promising Young Woman et le spectateur subit au même titre que Cassie ce mutisme oppressant. En effet, tout est vu à travers le point de vue de l’héroïne, elle est de tous les plans et jamais le spectateur ne prend de l’avance sur elle. On a l’impression qu’elle vit tout cela en même temps que nous, même si nous constatons au final qu’elle avait une belle longueur d’avance… 

Plan rapproché-épaule sur Carey Mulligan déguisée en infirmière dans une soirée, fumant une cigarette l'air blasé dans le film Promising Yougn Woman.

© Universal Pictures France

Cette première partie finit par bifurquer sur un tout autre genre qui peut sembler étonnant, vu le sujet de départ : la comédie romantique. Tous les clichés sont balancés sur l’écran en quelques minutes accompagnés d’une musique pop acidulée pour illustrer ces regards complices et ces fous rires entre amoureux. Rien que le passage du supermarché digne d’une scène de La La Land (Damien CHazelle, 2017) entre Emma Stone et Ryan Gosling (tiens encore lui…) condense toute cette guimauve qui se déverse sur un spectateur qui ne se rappelle même plus du sujet et du ton initial. C’est à ce moment-là que son avis, qui semblait calqué sur celui de Cassie, change tout à coup. On se fait surprendre par ce changement d’ambiance. Tout le long du film, les gens autour de Cassie la poussent à laisser tomber, à passer à autre chose. On en vient, spectateurs, à penser la même chose : “après tout ce n’est pas si grave, profite donc de la vie, de ce tout nouveau bonheur que tu peux connaitre avec ce garçon, oublie le reste”. Mais le message porté par le récit n’est pas de véhiculer une morale heureuse et de faire semblant de ne rien voir, comme la plupart des protagonistes du reste, comme ces hommes qui profitent de l’ivresse de jeunes filles innocentes. La vengeance ira jusqu’à son terme… Et c’est là que Promising Young Woman bascule finalement dans le genre horrifique. Le visage des hommes se dévoile en pleine lumière, ils sont lâches, pleurnichards, prêts à tout par pur égoïsme. Mais ce ne sont pas les seuls, les femmes aussi ferment les yeux sur leurs méfaits, aussi horribles soient-ils. D’ailleurs, si les personnages féminins sont complexes, on remarque que tous les hommes du film sont presque des figures interchangeables. Aucun n’est épargné par la verve vengeresse de la réalisatrice… L’on pourra donc trouver dommage que la subtilité du traitement du sujet soit affaiblie par un message parfois martelé au burin, mais il faut avouer ce burin est étonnamment tenu par la main d’une réalisatrice à la fois tachée de sang et gantée de paillettes.


A propos de Charlotte Viala

Fille cachée et indigne de la famille Sawyer parce qu'elle a toujours refusé de manger ses tartines de pieds au petit déjeuner, elle a décidé de rejoindre la civilisation pour dévorer des films et participer le plus possible à la vie culturelle de sa ville en devenant bénévole pour différents festivals de cinéma. Fan absolue de slashers, elle réserve une place de choix dans sa collection de masques au visage de John Carpenter pour faire comme son grand frère adoré. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/riRbw

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