Last Words


Fable post-apocalyptique en apparence, Last Words (Jonathan Nossiter, 2020) s’avère être une ode au cinéma profondément touchante face aux derniers jours de l’être humain.

Plan rapproché-épaule sur Kalipha Touray captivé, une caméra sur l'épaule, dans le film Last Words.

                         © JONATHAN NOSSITER – JOUR2FETE

La dernière bobine

Un jeune homme noir est en train de filmer avec une vieille caméra, tandis qu'un vieil homme derrière lui lui place les mains sur l'appareil ; scène du film Last Words.

                             © JONATHAN NOSSITER – JOUR2FETE

Le tout juste regretté Bertrand Tavernier a proposé avec son Voyage à travers le cinéma français (2016) un hommage aux films et réalisateurs qui l’ont marqué durant sa vie. Jonathan Nossiter offre quant à lui un véritable film hommage au septième art sous couvert d’un monde post-apocalyptique où les derniers humains cherchent à laisser leur trace. Dans la scène d’ouverture, un jeune homme noir se présente comme le dernier homme sur terre – il s’agit de l’acteur principal Kalipha Touray, un réfugié africain choisi par le réalisateur parce qu’il “a connu la fin de son propre monde”. Ne pouvant plus raconter les histoires des autres, il va raconter la sienne. Le réchauffement climatique et la montée des eaux ont en effet condamné le continent africain et ont forcé les populations à l’exil ; s’en sont suivi la famine puis la guerre entre les différents pays d’Afrique. 2084. Un Paris méconnaissable, en ruines. Après la mort de sa sœur enceinte tuée sous ses yeux, Kal part pour l’Italie. Les Alpes ne sont plus que des monts de roches et de sable. Arrivé à Bologne, Kal y fait la rencontre de Shakespeare (Nick Nolte), un vieil homme tapi dans une ancienne cinémathèque qui passe ses journées à projeter des bobines à l’aide d’un vélo-projecteur. Kal découvre le cinéma avec crainte et effarement à la manière des premiers spectateurs de L’arrivée d’un train en gare de La Ciotat (Auguste et Louis Lumière 1896). « Je ne savais pas que les bandes étaient vivantes », déclare-t-il. « Plus que nous », lui répond le vieil homme.

L'acteur Kalipha Touray est dans une crypte, vêtu comme un homme du Moyen-Âge, à l'arrière-plan un vieil homme assis sur un trône ; scène du film Last Words.

                       © JONATHAN NOSSITER – JOUR2FETE

Commence alors une double mission pour les deux comparses, construire une caméra à la manière des frères Lumière, et rejoindre Athènes où les terres seraient encore cultivables. Les deux hommes y trouvent une petite communauté internationale des derniers humains sur terre dont Charlotte Rampling en nymphomane décomplexée et Stellan Skarsgård en leader/médecin, deux acteurs que Nossiter avait déjà dirigés dans Signs and Wonders en 2010. Grâce à sa caméra, Kal entreprend de filmer ces ultimes survivants pour les garder vivants, pour raconter leurs histoires, pour laisser une trace. Shakespeare continue de projeter des bobines, dont le choix astucieux de certaines scènes cultes (comme Buster Keaton dans Sherlock Junior par exemple) dresse des parallèles avec des vrais moments de vie. Jonathan Nossiter revisite ainsi son histoire du cinéma au milieu de l’action de son propre film. Le septième art apparaît comme un souvenir qui se conjugue donc à la fois au passé, au présent et au futur. Shakespeare avait raison : si le cinéma peut survivre à l’apocalypse, alors il est certainement plus vivant que les humains.

Jonathan Nossiter n’est pas que cinéaste, il est aussi vigneron – son documentaire Mondovino avait d’ailleurs été sélectionné au Festival de Cannes 2004. Son rapport à la terre se fait particulièrement ressentir à travers le personnage de Dima (Alba Rorhwacher), la délicate jardinière du groupe qui tente de faire pousser des récoltes dans une terre toxique. De par son double métier et sa conscience écologique, le réalisateur a logiquement choisi d’adapter le livre Mes derniers mots de Santiago Amigorena, un roman d’anticipation publié en 2015 que Nossiter qualifie de « poésie en prose ». L’entretien généreux de 35 minutes proposé en bonus du DVD (sorti chez Jour de Fête) nous en apprend davantage sur la vision du metteur en scène. En ces temps de pandémie, de confinement et de cinémas fermés, son insistance sur l’essentialité de la culture pour la survie de l’humanité résonne différemment. Il s’élève contre la manipulation par la peur propre à beaucoup de films hollywoodiens qui exacerbent les anxiétés des spectateurs pour ensuite mieux les contrôler grâce à un happy ending préfabriqué. Nossiter conçoit Last Words comme la réponse humaniste au déferlement de blockbusters sans âme ([Bilan 2010-2019] Blockbuster, le sommeil de la force). Un film qui évite la surenchère au profit des relations humaines et du besoin inné de raconter des histoires, Last Words apparaît en effet comme une ode sincère à la philosophie du cinéma. Il n’est donc pas étonnant que le long-métrage ait été labellisé Cannes 2020 à défaut d’y être sélectionné en raison de l’annulation du festival l’année dernière. En croisant les doigts pour que l’édition 2021 puisse nous offrir d’aussi belles propositions.


A propos de Emma Ben Hadj

Étudiante de doctorat et enseignante à l’université de Pittsburgh, Emma commence actuellement l’écriture de sa thèse sur l’industrie des films d’horreur en France. Étrangement fascinée par les femmes cannibales au cinéma, elle n’a pourtant aucune intention de reproduire ces méfaits dans la vraie vie. Enfin, il ne faut jamais dire jamais.

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