[Livre] M. Je-sais-tout de John Waters


Pour la première fois, l’un des récits « semi-mémoires » dont John Waters à le secret est traduit et édité en Français par Actes Sud sous le titre M Je-sais-tout. Entre livre de développement personnel perverti et récit biographique sur la seconde partie de carrière du cinéaste – de Polyester (1981) à A Dirty Shame (2005) – les amateurs comme les néophytes de l’œuvre du plus respectable des réalisateurs subversifs ont de quoi se réjouir.

Le cinéaste John Waters Monsieru Je-sais-tout pose attablé devant une assiette contenant la tête d'une biche de dessin animé en plastique, il tient une fourchette dans la main droite, un couteau dans la main gauche.

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Pervers Pépère

Divine, l'héroïne de Pink Flamingos le film de John Waters M. Je-sais-tout, braque son pistolet sur quelqu'un hors-champ, l'autre main posée sur sa hanche dans une moue déterminée.

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John Waters a désormais plus de 70 ans et est devenu respectable. Le Prince of Puke, le Pope of Trash, The People’s Pervert lui-même s’est métamorphosé en figure reconnu de la cinéphilie. On parle bien de John Waters, dont le premier succès underground à tendance midnight movie Pink Flamingos (1972) lançait ses protagonistes dans une compétition acharnée pour conserver le titre de « Personne la plus dégoutante sur Terre ». Ce John Waters encore qui dit s’être construit une carrière seulement grâce aux critiques négatives à l’encontre de ses films. Eh bien oui, à l’inverse d’un Lloyd Kaufman, Waters n’est plus simplement « culte », il fait désormais partie intégrante de la Culture. Son œuvre est désormais consacrée le temps de rétrospectives dans les cinémathèques du monde entier, et trois de ses titres – Multiple Maniacs (1970), Female Trouble (1974) et Polyester (1981) – ont fait l’objet d’une restauration et d’une édition vidéo dans la très select Criterion Collection. Pour autant, il en faut plus pour désarçonner John Waters. Au contraire c’est en assumant cette nouvelle position d’estime et de sagesse conférée soudainement par son grand âge qu’il nous revient en M. Je-sais-tout édité chez Actes Sud. Entre le récit autobiographique ponctué d’anecdotes qu’on lui connait déjà et le livre de conseil pour les générations suivantes, John Waters s’approprie parfaitement sa nouvelle posture de vénérable sage pour faire ce qu’il fait de mieux, tel un cheval de Troie – pour reprendre l’expression de John Waters pour qualifier son Hairspray (1988) – c’est-à-dire infiltrer les cerveaux et insérer ses idées loufoques dans la culture mainstream pour mieux la saboter.

Une femme et un homme lisent les Cahiers du cinéma, l'air très circonspect ; scène d'un film de John Waters surnommé M. Je-sais-tout.

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M. Je-sais-tout peut se diviser grossièrement en deux grandes parties. Dans la première moitié de l’ouvrage John Waters poursuit l’exercice qu’il avait commencé quelques années plus tôt dans un précédent livre, Shock Value, en racontant l’origine, la production, l’accueil et l’impact de ses films. Reprenant ici son récit là où il s’était arrêté à la fin de l’ère Dreamlanders lorsque ses longs-métrages sortent de l’underground quelque peu fauché pour rentrer dans un système de production plus « classique ». C’est ainsi l’occasion de revenir sur la fabrication des senteurs en Odorama contenues sur une carte à gratter pour accompagner le film Polyester (allant de l’odeur de marijuana à celle du déodorant pour WC, dans un esprit typiquement Waters), mais aussi de discuter des premiers rôles plus dramatiques et touchant de sa muse et amie de toujours, Divine, après avoir fait jouer pendant des années cet alter ego de femme cruelle et folle à lier. C’est aussi le moment de re-découvrir après des années de critiques incendiaires la consécration venue avec Hairspray, seul film réellement grand public dans sa filmographie et pour lequel Divine sera acclamée et deviendra une star. Les anecdotes rocambolesques fourmillent, et John Waters sait mieux que personne conter ces histoires ahurissantes, que ce soit l’enlèvement et l’embrigadement par un groupe politique extrémiste de Patricia Hearst – qui deviendra plus tard une régulière de sa bande – au moniteur de colo ayant eu des comportements quelque peu inappropriés avec le jeune Waters – qui viendra alors des années plus tard lui demander/extorquer 50 000$ pour financer un projet. C’est enfin l’opportunité pour John Waters de décrire ce qui sera le point final de sa carrière au cinéma (à ce jour en tout cas), la classification R-Rated (interdit aux moins de 17 ans non accompagnés) qui tuera dans l’œuf le box-office de A Dirty Shame (2005).

Pour les amoureux des films de John Waters – ou de la fameuse comédie musicale tirée de Hairspray – cette première partie est une bible indispensable, apportant pléthore d’informations, parfois édifiantes, parfois anecdotiques, mais toujours passionnante. La deuxième partie, elle, s’adresse plus volontiers aux afficionados du personnage qu’est Waters lui-même (si tant est qu’il existe une véritable différence entre ces deux populations de fans). En s’éloignant de sa carrière et de l’aspect « autobiographique », les chapitres suivants se révèlent être de pures écritures d’inventions, dans une veine on-ne-peut-plus watersienne. La description de son restaurant « Idéal » – spoiler, il se peut que les huîtres contiennent un fluide corporel humain ou un autre – ou bien la maison de rêve imaginée par John Waters, tout n’est qu’un prétexte pour laisser libre court à son esprit chaotique, délirant et réjouissant. Chaque chapitre peut alors se lire comme une petite expérience individuelle qu’il s’agisse d’une lettre d’amour écrite à Warhol et son œuvre en tentant de retranscrire par écrit la frénésie créative de la Factory ou du récit d’une nouvelle aventure pour Waters, un trip sous LSD à plus de 70 ans. Tout ceci culminant évidemment avec l’expérience ultime, celle de la mort de John Waters, les funérailles qu’il invente pour lui-même – plus sobres que vous ne l’imaginez – ainsi que sa résurrection – quant à elle…  Encore plus loufoque que vous ne l’imaginez.

Plus que des mémoires, plus qu’un simple exercice de style, M. Je-sais-tout est en réalité un manuel. Pas un de ces livres plus ou moins spirituels censés donner du sens à votre vie, pas un guide de méditation, ni un self-help book d’aucune sorte. C’est un manuel de sabotage. Détruire les attentes, détourner en permanence la routine de la vie, apprendre l’art du contre-pied permanent, savoir faire un pas de côté, pouvoir se moquer d’à peu près tout – et avant tout de soi-même – voilà donc “les conseils impurs d’un vieux dégueulasse”. Et aussi délirants qu’ils puissent paraitre au premier coup d’œil, ils vous feront échapper, au moins temporairement, des pires ennemis qui nous guettent : l’ennui et l’apathie. Tout ça mixé avec du LSD, l’histoire des Sex Clubs de New York et même la biographie de la première guenon peintre de l’histoire, vous auriez tort de vous en priver.


A propos de Martin Courgeon

Un beau jour de projection de "The Room", après avoir reçu une petite cuillère en plastique de plein fouet, Martin eu l'illumination et se décida enfin à écrire sur sa plus grande passion, le cinéma. Il est fan absolu des films "coming of age movies" des années 80, notamment ceux de son saint patron John Hughes, du cinéma japonais, et de Scooby Doo, le Film. Il rêve d'une résidence secondaire à Twin Peaks ou à Hill Valley, c'est au choix. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/riwIY

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