Spirits of the Air, Gremlins of the Clouds


L’éditeur Le Chat qui Fume exhume le premier long-métrage de Alex Proyas, Spirits of the Air, Gremlins of the Clouds, cinéaste greco-australien qui, avec cet essai inaugural, proposait déjà toute la quintessence d’un cinéma à la mise en scène inspirée et incarnée. Un génie flamboyant qui se sera perdu et dévoyé par les affres du temps, de l’appât de l’argent, de coups du destin et surtout… D’un redoutable Hollywood.

Au coeur du désert, une maison sur la quelle est taggé en rouge la phrase Go home or burn in hell, scène du film Spirits of the Air, Gremlins of the Clouds.

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I believe I can fly

La carrière d’Alex Proyas est certainement l’un des exemples les plus frappants pour certifier auprès d’un auditoire ô combien Hollywood est autant en capacité de sublimer les artistes que de les détruire. Lorsqu’il réalise le film qui nous intéresse, son tout premier, Spirits of the Air, Gremlins of the Clouds (1989) Proyas est déjà considéré comme un petit génie. Élève remarquable et remarqué au sein de l’Australian Film and Television School – dans laquelle il fut admis à seulement dix-sept ans – il s’imposa des années plus tard comme l’un des grands clippeurs des années 1980-1990, et ce bien avant l’arrivée de Michel Gondry et Spike Jonze. A son tableau de chasse, des vidéos-clips cultes pour INXS (Kiss the Dirt), Mike Oldfield (Magic Touch) ou encore Sting (When We Dance). Une reconnaissance grimpante lui permit de devenir rapidement l’un des génies créatifs engagés par MTV pour donner corps à son identité visuelle et l’un des réalisateurs de publicités les plus prolifiques de l’époque. Ce n’est donc qu’en 1989 qu’il parvient à mettre en chantier son premier long-métrage, qu’il écrit, produit et réalise avec seulement 500.000 dollars. Une somme qui a de quoi étonner tant le film se distingue par la qualité indéniable de sa direction artistique – décors, costumes, accessoires – sublimée d’une photographie à couper le souffle.

Felix Crabtree, les bras en croix sur son fauteuil roulant en plein milieu du désert, scène du film Spirits of the Air, Gremlins of the Clouds.

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Comme première histoire à narrer au monde, Proyas choisit de nous projeter dans un univers post-apocalyptique, dont le théâtre à l’écran n’est autre que le désert australien. On y découvre d’abord un vagabond, errant péniblement dans ces étendues sauvages, au son d’un violon lancinant. L’atmosphère des westerns spaghetti de Sergio Leone s’immisce d’emblée dans chacun des plans, bien que l’étrangeté générale et immédiate qui se dégage de ces images donnent la double impression de regarder à la fois un western sauvage et un film de science-fiction. Ce lonesome cowboy, Smith de son nom, termine son errance au seuil d’une bâtisse typique de l’Outback, perdue au milieu du sable et cernée par les montagnes. Il y fait la rencontre de Felix et Betty Crabtree, un étrange duo frère-soeur qui vit ici en autarcie. Lui, est un inventeur un peu fou se déplaçant en fauteuil roulant, s’étant brisé les deux jambes après avoir testé, non sans fracas, une machine volante. Elle, extravagante et légèrement hystérique, envahit la maison de crucifix et croit reconnaître en toute personne qu’elle rencontre, le démon en personne, alors qu’on ne fait pas plus possédée qu’elle-même. Smith fait escale chez ces deux spécimens très spéciaux, histoire de reprendre des forces et de continuer son voyage. Celui-ci doit l’amener derrière les montagnes, là où, dit-on, la vie serait plus douce et civilisée. Felix voit donc en Smith, un camarade de jeu idéal pour fabriquer, enfin, une machine volante qui leur permettrait de passer au dessus de la montagne et connaître enfin cet Eden dont on parle dans les anciens récits.

Smith installé dans son deltaplane, sur la rampe de lancement.

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Si le genre du film post-apocalyptique a quasiment trouvé ses lettres de noblesses en Australie avec les deux premiers Mad Max (1981-1985), Alex Proyas ne se satisfait nullement d’en faire une relecture opportuniste. Moins inspiré par la figure de vengeur solitaire de George Miller que par l’homme au cigare incarné par Clint Eastwood chez Sergio Leone, le cinéaste réussit à contourner l’a priori qui peut être posé sur son film – celui d’un Mad Max Movie donc – tant il impose aux spectateurs, dès les premiers plans, une vision personnelle d’une grande tenue. Tout dans Spirits of the Air, Gremlins of the Clouds (sauf peut-être son titre un peu alambiqué) sonne juste, sonne fort. Esthétiquement, on l’a déjà dit, mais on le répète, le film est un ravissement de chaque instant que cette édition somptueuse met encore plus en lumière : couleurs brûlantes – nuances d’orange, d’or et de bleu – subtilement teintées par la texture de la pellicule parfaitement révélée. Mais encore, scénario faisant l’équilibriste entre les genres : western crépusculaire, science-fiction, post-apocalyptique, énergie steampunk, comédie, virage vers l’horreur et finalement, l’audace de proposer des larmes, là où se loge et se dévoile finalement, le buddy-movie, la fable humaniste et le drame intime. Si ce mélange opère si admirablement sans provoquer de haut-le-coeur, c’est que la mise en scène de Alex Proyas, par sa générosité, son inventivité et sa sensibilité, réussit à donner du liant à tous ces univers combinés pour créer une proposition filmique d’une immense cohérence. Tant d’audace, de tenue, force le respect venant d’un premier long-métrage si désargenté.

Betty Crabtree, le visage peint en blanc, agenouillée près d'une stèle funéraire, une croix de boix, dans l'outback australien.

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Naturellement, bien que le film n’eut un succès que relatif à l’International (et relativement tempéré dans son propre pays), Hollywood fut alerté par la promesse qu’incarnait Proyas. Vite débauché par les mastodontes californiens, le cinéaste – qui avait déjà fait l’effort d’un retour en terre natale pour réaliser son premier film – retraversa l’Océan Pacifique, ne se perdit pas en route… Mais à l’arrivée. Sa carrière hollywoodienne démarre en 1994 quand on lui propose de réaliser l’adaptation du comics The Crow. S’il est resté mythique, c’est moins pour sa qualité intrinsèque – bien qu’il ait ses admirateurs – que pour l’événement tragique qui entâcha sa production avec la mort accidentelle de l’acteur Brandon Lee. Fort de ce tragique scandale, le second long-métrage de Alex Proyas devient, tout de même, un énorme succès au box-office. Mais la frustration fut grande pour le cinéaste, tant affecté par le décès de son comédien et par sa réputation d’oiseau de mauvaise augure, de corbeau d’Hollywood. Il lui faudra quatre ans pour revenir aux affaires, avec le déroutant mais néanmoins fascinant Dark City (1998) autre adaptation de comics. Le film, malgré son ambition visuelle et sa direction artistique très inspirée, ne rencontre cette fois pas son public. Dès lors, Proyas va se casser les dents sur l’autel sacrificiel qu’est Hollywood. Traînant sa grande carcasse de visionnaire désespérée, il retourne en Australie réaliser Garage Days (2002) comédie musicale suivant un groupe de jeunes musiciens australiens restée relativement confidentielle. Il ne parviendra à ressusciter brièvement aux Etats-Unis qu’en 2004 pour la réalisation de I.Robot, adaptation de Isaac Asimov avec un Will Smith alors au sommet. Un film de science-fiction, non sans défauts, mais qui a le mérite, à l’époque, de participer à révolutionner les effets-numériques et de proposer une fable d’anticipation assez visionnaire sur l’intelligence artificielle. Au succès énorme de ce film, s’en suit une déperdition totale de son auteur dans les limbes hollywoodiennes : d’abord avec le navet Predictions (2009) dans lequel Nicolas Cage se fait prophète, puis avec l’affligeant Gods of Egypt (2016) péplum numérique désincarné qui réussit à peine à se rembourser, grâce au mauvais goût du public chinois.

Blu-Ray du film Spirits of the Air, Gremlins of the Clouds édité par Le Chat qui Fume.L’édition que nous propose Le Chat qui Fume a donc pour principal mérite de remettre en lumières le talent incroyable de ce cinéaste que l’Histoire du Cinéma aura peut-être un peu trop vite oublié. Si The Crow et Dark City sont des témoins évidents de la capacité de Proyas à fabriquer des univers aux ambiances semblables à nulle autres, se (re)plonger dans la vision de Spirits of the Air, Gremlins of the Clouds permet de se rappeler que ce talent, à l’état brut, à peine poli, était déjà capable de livrer des fables fascinantes et intemporelles. Le master que le coffret propose est basé sur la remasterisation supervisée par le cinéaste lui-même en 2018 et sublime ainsi l’esthétique hors-norme de ce film qui l’est tout autant. On sera plus timoré quant aux suppléments proposés – deux interviews avec les comédiens Michael Lake et Rhys Davies – mais c’est surtout parce que les matous nous ont habitué à plus généreux. Pas de quoi non plus gâcher notre plaisir, tant ce qui doit prédominer quand on aborde cette édition, c’est de toute évidence, le film somptueux et malheureusement trop méconnu qu’elle nous propose de découvrir ou re-découvrir.


A propos de Joris Laquittant

Sorti diplômé du département Montage de la Fémis en 2017, Joris monte et réalise des films en parallèle de son activité de Rédacteur en Chef tyrannique sur Fais pas Genre (ou inversement). A noter aussi qu'il est éleveur d'un Mogwaï depuis 2021 et qu'il a été témoin du Rayon Bleu. Ses spécialités sont le cinéma de genre populaire des années 80/90 et tout spécialement la filmographie de Joe Dante, le cinéma de genre français et les films de monstres. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/sJxKY

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