Le catalogue de la plateforme de screaming Shadowz ne contient, contre toute attente, pas que du cinéma horrifique. Elle permet entre autres de découvrir ou redécouvrir cette merveille de thriller anxiogène, à la lisière du fantastique, qu’est Seconds, plus connue chez nous sous le nom de L’opération diabolique (John Frankenheimer, 1966).
Nouveau look pour une nouvelle vie
Les premières images déformées de l’impressionnant générique concocté par Saul Bass et les notes lancinantes de la musique de Jerry Goldsmith donnent le ton. Aucun doute possible, l’angoisse sera le fil rouge de L’opération diabolique (John Frankenheimer, 1966). Son scénario fait pourtant d’abord penser au film noir, avant de basculer dans le paranoïaque : le protagoniste, Arthur Hamilton, joué par un Rock Hudson qu’on a plus vu chez Douglas Sirk (Capitaine Mystère, 1955) que dans ce registre, est mystérieusement contacté par un ami qu’il croyait mort puis se rend sur ses conseils dans un institut dirigé par une organisation secrète. Celle-ci lui proposera quitter sa vie morose, de « renaître ». Un nouveau visage, de nouvelles cordes vocales et une nouvelle identité. Arthur Hamilton est mort au profit d’Antiochus « Tony » Wilson, artiste peintre. Comme si tout pouvait bien se passer…
Le film de Frankenheimer est un modèle de thriller à bien des égards. Le réalisateur a d’abord un sens du cadrage qui accentue la tension : Seconds multiplie l’utilisation de gros plans en courte focale déformant les perspectives, intensifiant la sensation de malaise, et d’autant plus que les sujets de ces gros plans ne sont pas toujours « centrés » mais souvent « coupés ». Frankenheimer peut choisir par exemple de suivre la marche d’un personnage en gros plan centré non pas sur son visage, mais sur son front. L’inconfort suscité par ce cadre non seulement décuple le sentiment de malaise, mais en l’occurrence, force le spectateur à se concentrer sur d’autres aspects, comme les gouttes de sueur qui perlent sur ledit front. Seconds regorge d’exemple de ce style, comptant de nombreux plans asymétriques, où des objets traversent carrément le plan en diagonale. Une idée simple que l’on retrouvait déjà par exemple à la fin de son précédent long-métrage Le Train (1964). Cette construction de plans génère un inconfort qui pousse le spectateur dans une position d’alerte.
Le scénario de L’opération diabolique n’est pas en reste niveau angoisse. Une seconde vie démarre pour Tony Wilson, a priori libéré de toute pression sociale. Une recherche d’un autre modèle qui passe, forcément, par la découverte du mouvement hippie, contre-modèle de vie par excellence. La renaissance de Tony passe autant par ce passage contre-culturel que par l’organisation d’une soirée mondaine. Ici, la bourgeoisie, qui a sa disposition toutes les occupations, tous les rôles possibles pour espérer en vain donner du sens à sa vie, ramène Tony à l’absurdité de sa décision. Sa quête pour « donner un nouveau sens à sa vie », d’enfin trouver sa place dans la société est orgueilleuse, illusoire. Ce n’est qu’un leurre érigé dans l’ombre dans le seul but d’une société ordonnée, où personne ne déroge à sa place. A la perte de repères et de certitudes de Tony Wilson s’ajoute la mise en scène de Frankenheimer et l’excellente performance de Rock Hudson, pour un résultat bluffant qui ravira tout amateur de thrillers. Autant ne pas trop en dévoiler, et laisser l’œuvre parler pour elle-même, ça tombe bien, vous pouvez le découvrir chez notre partenaire Shadowz. Notre seul conseil sera donc de sommer à quiconque n’aurait pas vu L’opération diabolique de se ruer sur ce morceau de cinéma en or massif.