La Guerre du Feu


Troisième long-métrage de Jean-Jacques Annaud, La guerre du feu sortait durant l’hiver 1981 avec le double exploit de vouloir attirer des spectateurs vers une histoire préhistorique dans une langue inventée pour l’occasion et de surcroît sans effets spéciaux modernes. Lors du 39ème Festival International du Film d’Amiens, le cinéaste était l’un des invités, l’occasion de (re)découvrir un long-métrage emblématique de son œuvre.

Un des hommes préhistoriques de La Guerre du Feu (critique du film)

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Dans le panorama hollywoodien, il est impressionnant de constater l’arrivée d’une telle œuvre alors que tous les producteurs cherchent à rivaliser avec des Star Wars, épisode V : L’Empire contre-attaque (Irvin Kershner, 1980) ou Le Parrain 2 (Francis Ford Coppola, 1974). Pourtant, La Guerre du Feu (Jean-Jacques Annaud, 1981) est bien un long-métrage muet – ou plutôt incompréhensible pour les spectateurs, si vous préférez – et dont tous les éléments narratifs passeront par la gestuelle et les émotions. L’histoire, quant à elle, est toute simple : une tribu d’hommes des cavernes part à la reconquête du feu, qu’ils ont perdu lors de l’attaque d’un autre clan. Derrière cette quête, c’est davantage une recherche de modernité et d’avancée technique qui est symbolisée dans les péripéties des trois hommes désignés pour accomplir cette mission. Le récit sera également une histoire de fratrie, où l’important est de faire confiance à l’autre et de savoir risquer sa propre vie pour la survie de toute une famille. Au cœur, une histoire vieille comme le monde : celle de la place de l’humain au sein d’un ensemble plus grand. Bien que le scénario, signé Gérard Brach, prenne place dans une époque qui peut nous sembler lointaine, elle est en vérité bien plus proche de notre monde moderne que nous l’imaginons. Les thématiques de tolérance et d’ouverture sur l’autre sont, tristement, encore plus d’actualité aujourd’hui qu’à l’époque de la sortie du long-métrage ou du contexte historique dans laquelle l’histoire se déroule. Sans jamais être naïf, le travail de Jean-Jacques Annaud alterne moments poétiques et instants plus cruels, livrant une œuvre toujours juste dans son équilibre de la représentation de la vie et son illustration d’un (dés)espoir.

Couple de la tribu de la Guerre du Feu (critique du film)

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Si le scénario peut paraître discret et minimaliste, c’est par la mise en scène qu’il trouve une résonance plus puissante et maîtrisée. Jean-Jacques Annaud est un conteur et réalise son long-métrage comme une fable, mettant l’accent sur les traits de personnalité de ses personnages, les caractérisant par des angles de caméra et positions spécifiques dans le cadre. Au risque de surprendre, La Guerre du Feu est ainsi plus proche d’un film de Buster Keaton que d’une grosse production de divertissement hollywoodienne, volonté de grand spectacle mise à part. Pour offrir de tels tableaux d’actions, Jean-Jacques Annaud mise d’ailleurs sur du concret. Nul effet spécial numérique, tout est vrai… Même les mammouths, qui se révèlent être des éléphants déguisés. Cela offre au long-métrage une véracité, qui permet, elle-même, d’offrir un charme incroyable à l’ensemble. Dans cette même volonté, les maquillages et costumes sont également l’une des belles réussites et permettent aux spectateurs une immersion totale dans cette histoire préhistorique. En se libérant du poids du tout numérique, pourtant très à la mode à l’époque, Jean-Jacques Annaud livre une œuvre singulière où les corps pèsent dans les décors, et où les ajouts (prothèses, déguisement pour les mammouths, etc.) existent par leur texture et leur matière. Il est vrai que  La Guerre du Feu est aussi, et avant tout, un long-métrage de relief, aussi bien avec ces plaines vallonnées que cet enjeu du non-numérique qui rend moins lisse l’ensemble. Mais lorsque l’on se plonge dans cette production de manière rétrospective, impossible de ne pas y voir l’un des points de départ d’une longue carrière qui gardera le même axe durant plus de trente ans : le choc des civilisations et les grandes fresques tournées dans des décors naturels.

Pluie préhistorique dans le film La Guerre du Feu (critique)

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De  La Guerre du Feu jusqu’à son dernier projet en date, Le Dernier Loup (2015), en passant par L’ours (1988) ou Sept ans au Tibet (1997), la confrontation des cultures et le dépaysement pour les spectateurs sont au cœur de la réflexion cinématographique du réalisateur. En soi,  La Guerre du Feu pose l’une des premières pierres – avec son premier effort La victoire en chantant (1976) – de ces thématiques qui ne le quitteront plus. Si la confrontation des cultures, et dans le cas de ce long-métrage des deux clans, se fait dans la violence, la bataille psychologique, et presque de patrimoine, est beaucoup plus importante pour le cinéaste français. Comme dans Le Dernier Loup (2015) avec les traditions mongoles qu’ils cherchent à protéger, le fait de défendre leur feu est à la fois une nécessite de survie, afin de pouvoir se réchauffer et manger chaud, mais également une nécessité culturelle, afin d’affirmer leur clan dans un mouvement progressiste et moderne : sans le feu, ils font marche arrière et se retrouvent au même échelon que leurs ancêtres. Le cinéma de Jean-Jacques Annaud aura toujours cette vocation à aller de l’avant, tout en gardant un regard vers l’arrière. Un défenseur des traditions et du patrimoine en somme – et qui passent de main en main dans ses longs-métrages – et cela dès l’âge de pierre jusqu’à aujourd’hui.


A propos de William Tessier

Si vous demandez à William ce qu'il préfère dans le cinéma, il ne saura répondre qu'avec une seule et simple réponse. Le cinéma qu'il aime est celui qu'il n'a pas encore vu, celui qui ne l'a pas encore touché, ému, fait rire. Le teen-movie est son éternel compagnon, le film de genre son nouvel ami. Et dans ses rêves les plus fous, il dine avec Gégé.

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