Furie


Remake à peine déguisé des Chiens de Paille (Sam Peckinpah, 1971) en beaucoup moins bien, Furie (Olivier Abbou, 2019) est un énième exemple de film de genre à la française passé à côté d’un argument qui portait de grandes possibilités.

Paul Hamy sous le masque de cochon (critique du film Furie 2019)

                                      © Tous Droits Réservés

Tout est bon dans le cochon

Adama Niane halluciné dans le film Furie (critique)

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Ah ce cinéma de genre français… Muse adorée, arlésienne tragique, sujet des querelles, objectif sacré de la guerre civile des cinéphiles. En France le genre pose question. Par on ne sait quel put*** tour de passe-passe générationnel – pour une fois d’ailleurs, ce n’est pas de la faute de la Nouvelle Vague à laquelle on doit même la reconnaissance de plusieurs réalisateurs de genre – le cinéma de genre est devenu « pas naturel ». Et on en est là aujourd’hui, à avoir le cul ballotté entre deux optiques qui se font face : accepter, digérer et appliquer l’élitisme du film d’auteur hexagonal puis le « perturber » plus ou moins gentiment avec des éléments venus d’ailleurs – Grave (Julia Ducournau, 2016), Jessica Forever (2019), voire Petit Paysan (Hubert Charuel, 2017) – ou garder une posture assumée n’ayant peur ni des contrées tout à fait étrangères – Les Garçons Sauvages (2017) de Bertrand Mandico – ni de livrer un cinéma populaire et divertissant – Dans la brume (2018) de Daniel Roby. Chacun se place selon sa vision mais on peut dire sans trop de conneries que cette vision justement peut être largement influencée par la qualité des travaux dans l’une ou l’autre des catégories. Il y a des films qui peuvent convertir et faire converger, c’est certainement ce qu’on attend encore tous, de part et d’autre. Hélas, le tout neuf Furie, réalisé par Olivier Abbou – auteur de Territoires en 2011 – n’est pas prêt d’être candidat.

Le marketing préalable (bande-annonce, etc…) et un carton introductif nous apprennent que le scénario est inspiré d’une histoire vraie. En effet, le point de départ de Furie s’est bien produit pour quelques-uns de nos concitoyens IRL (In Real Life) : Paul et Chloé Diallo rentrent de vacances idylliques avec leur petit garçon. Ils ont confié pendant leurs congés la demeure familiale à la nounou du gosse et à son petit ami qui se chargeaient de garder la baraque et de payer les charges le temps de leur habitation. Le hic, c’est que les squatteurs ne veulent plus « rendre » la maison et leur refusent l’accès. La première étape est alors légale et les Diallo se tournent vers la justice pour récupérer leur bien. Mais celle-ci n’a pas l’air très bien pourvue et déterminée à les aider… La seconde étape va offrir une possibilité un chouia plus secouante. Alors que la famille est obligée de vivre temporairement dans un camping, Paul sympathise avec le jeune Eddy qui tient ledit camping. Eddy et sa bande de potes ont une vision un peu plus désenchantée de la loi et de ce que Paul devrait faire pour tout remettre dans l’ordre. Ils vont de plus en plus l’influencer à régler les choses par lui-même… Pour débuter doucement, nous pouvons souligner là où Furie fonctionne. C’est par le travail de son réalisateur, Olivier Abbou, qui livre un objet plastique rigoureux et où une vraie volonté de créer des images fortes est palpable. Qu’on ait aimé le film ou pas, la séquence hallucinatoire de la boîte de nuit, la première scène inaugurale avec ce long plan-séquence fixe de l’intérieur du véhicule des Diallo, et bien entendu toute la partie home invasion avec des trouvailles marquantes (la mise à mort avec le sac à vide, l’incendie autour de la piscine et dans le jardin, les masques de cochon…) remplissent leur part du contrat et même un peu plus. Formellement, Furie est un bon film. Mais il est par là-même un autre malade d’une époque où la forme, rendue plus facile par le numérique, n’épouse plus un fond déficitaire.

Pour bien rester dans le souci à mes yeux numéro un des cinémas de genres français, c’est le script de Furie – et aussi un peu son interprétation, déso… – qui brise tous les espoirs suscités par un pitch alléchant. Passons sur les énormes facilités d’écriture qui entachent l’adhésion totale à ce qui nous est raconté : la façon dont l’imbroglio juridique qui empêche les Diallo de récupérer leur maison est jeté par dessus la jambe (vous ne comprendrez pas tout à fait pourquoi et c’est un vrai problème !) ; le fait que comme par hasard Paul Diallo donne un cours sur la loi à ses élèves juste après sa mésaventure : le fait qu’Eddy soit un ex de Chloé Diallo… Ces aisances sont pardonnables eu égard à la maladresse excessive du fond, pour ne pas dire sa bêtise. L’enjeu du film est limpide : au contact de la bande de jeunes campagnards alcooliques et accros à la chasse (forcément), Paul vit une crise de masculinité. Plus il laissera couler la situation, moins il sera un homme et la sanction première c’est EVIDEMMENT que sa femme ne veut plus faire l’amour avec lui. Bon aussi, par un glissement assez troublant et limite, il lie ce manque de « couilles » à un inconscient colonial, laissant penser que puisqu’il est professeur intégré il n’est qu’un « bounty » comme un de ses élèves lui jette à la tronche. On ne voit pas trop le rapport…

Photogramme du film Furie d'Olivier Abbou (critique)

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Le long-métrage tend en réalité le bâton pour se faire battre car il est d’évidence un remake déguisé des Chiens de Paille (Sam Peckinpah, 1971) avec lequel la comparaison ne tient pas. Malgré son souffre, là où Les Chiens de Paille suscite l’admiration de beaucoup de cinéphiles ce n’est pas tant dans sa violence que dans son ambiguïté, encore troublante aujourd’hui. Outre la scène de viol, le film montre un Dustin Hoffman devenir complètement taré lorsqu’il doit protéger sa femme et sa maison : il est clair qu’il devient plus fou et vicieux que ses assaillants, perdant littéralement les pédales. Toutefois, on rappelle qu’il ignore que son épouse a été violée et qu’il ne se sent donc pas attaqué dans sa virilité, mais il est dans la simple posture d’un animal attaqué chez lui, réaction irraisonnée et primaire – pourtant, il est un mathématicien très réservé et rationnel – éminemment dérangeante pour le spectateur d’une société normée qui pense être bien au chaud dans ses lois et son surmoi. Le sujet des Chiens de Paille est de comprendre comment un homme lambda peut devenir plus fou que les fous, comment l’animalité peut surgir d’un cœur a priori tranquille et dans une campagne apaisée. Réflexion notamment basée sur l’intérêt de Sam Peckinpah pour le travail de l’anthropologue Robert Ardrey. Le sujet de Furie, c’est la pauvre prise en main d’un individu, subissant une crise de virilité écrite avec la finesse d’un maçon portugais (dédicace à mes cousins). Preuve en est, cette fabuleuse cerise sur le gâteau : lors de la scène finale, Chloé Diallo accepte enfin de coucher à nouveau avec son mari qui a quand même été fort gentil de la protéger. Même Sam Peckinpah ne se serait pas permis une fin aussi basse du front et macho. C’est dire…

 


A propos de Alexandre Santos

En parallèle d'écrire des scénarios et des pièces de théâtre, Alexandre prend aussi la plume pour dire du mal (et du bien parfois) de ce que font les autres. Considérant "Cannibal Holocaust", Annie Girardot et Yasujiro Ozu comme trois des plus beaux cadeaux offerts par les Dieux du Cinéma, il a un certain mal à avoir des goûts cohérents mais suit pour ça un traitement à l'Institut Gérard Jugnot de Jouy-le-Moutiers. Spécialiste des westerns et films noirs des années 50, il peut parfois surprendre son monde en défendant un cinéma "indéfendable" et trash. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/s2uTM

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