Cro Man


Les grands enfants et autres amoureux de plasticine l’attendaient : treize ans après le cultissime Wallace et Gromit : Le Mystère du lapin-garou (2005), le créateur Nick Park revient en solo sur le devant de la scène en s’embarquant dans une aventure préhistorique inédite, Cro Man. La nouvelle folie du papa de Shaun le Mouton (série, diffusée depuis 2007) et Chicken Run (coréalisé avec Peter Lord, 2000) enchante autant qu’il déçoit avec un film au charme so british, mais bien trop prévisible et enfantin.

Pierre ? Absent !

Il est difficile de passer après le très sympathique, si ce n’est adorable Shaun le mouton (Mark Burton et Richard Starzack, 2015), ultime succès des studios Aardman qui donneront suite aux aventures de l’ovidé en 2019. On se souvient également de la dernière tentative de création originale des studios, Les Pirates ! Bons à rien, mauvais en tout (Peter Lord et Jeff Newitt, 2012), aussitôt vu, aussitôt oublié. Le nom de Nick Park a quelque chose de rassurant, étant à l’origine des personnages éponymes de Aardman Animations grâce à son duo d’inventeurs et son mouton un brin dissipé. L’attente était à son summum : devait-on espérer une nouvelle pépite animée qui laisserait sa trace pour la décennie à venir ? Avec un pitch pourtant prometteur, Nick Park reste sur la touche en nous livrant un conte préhistorique plat sur fond d’affrontement sportif. Dans l’ancien Manchester, contrée préhistorique mêlant dinosaures et mammouths, hommes de Cro-Magnon et canards géants aux dents acérées, la vie d’une tribu installée dans une vallée luxuriante se voit bouleversée par l’arrivée de créatures étranges. Chasseurs de lapins quelque peu simplets (rappelons leur dénomination anglaise, les Early Men), ils se retrouvent expulsés de leur forêt natale par le peuple de l’âge de bronze, plus civilisés et avides de métaux précieux. Doug, héros à la tignasse de ficelles et à la dentition hasardeuse, et son compagnon Crochon, sanglier malin et muet, s’infiltrent dans le camp ennemi pour découvrir la véritable passion de leurs voisins évolués : le football. S’engage alors un match historique où la pierre affrontera le bronze, avec en jeu la fameuse vallée et la liberté de la tribu. Un scénario délirant et prometteur qui s’essouffle en une vingtaine de minutes. On regrettera une intrigue aux rebondissements trop prévisibles, des personnages manquant cruellement de personnalités et des gags pour la plupart recyclés. Les enjeux restent au ras des pâquerettes, tandis que le film enchaîne toutes les situations les plus banales sans étonner dans le moindre de ses arcs narratifs. On finit par avoir l’impression d’assister à un Astérix de l’Âge de pierre avec son humour orienté anachronismes en puissance, mêlé à un univers british qui fait mouche à maintes reprises.

Ce qui fait cependant la force de Cro Man, c’est avant tout son univers délirant, sous-exploité mais suffisamment fort pour pallier au trop faible scénario et ses farces redondantes. Le milieu du football est subtilement mis en lumière par des détournements ô combien brillants et comiques. De même, les références sur l’histoire de l’Angleterre et même l’actualité se multiplient tout en restant au second plan, que ce soit à travers le principal antagoniste à l’accent délicieusement français ou l’établissement d’un immense mur de barbelés autour de la vallée des héros, triste rappel d’un projet de séparation culturelle et sociale que l’on espère ne jamais voir aboutir. On appréciera tout autant l’éternel animal sidekick en la personne de Crochon, dans la lignée de Gromit et Shaun, qui se voit attribuer les meilleures scènes du long-métrage au détriment d’un unique match déjà joué d’avance. L’humour absurde ne suffit pas à faire tenir le concept sur la durée, concept qui aurait sans doute constitué un court métrage des plus amusants. On ressort de la salle obscure avec la désagréable impression que le film s’arrête là où il devrait commencer, sans nous avoir livré la performance sportive et cinématographique tant espérée. Force est de constater la qualité de l’animation et ses uniques bonhommes en pâtes à modeler qu’on retrouve le sourire aux lèvres. L’aspect artisanal des créations Aardman est toujours le bienvenue en ces temps où l’animation se résume bien trop souvent à des personnages de synthèses uniformes et sans grande originalité. Le travail des textures, que ce soit au niveau des décors ou même des costumes, offre un univers vivant au possible et haut en couleur qu’on ne peut qu’apprécier. On regrettera cependant des incrustations numériques trop régulières pour être ignorées, créant un rapport visuel assez étrange avec la stop-motion habituelle de Park. S’ajoute un casting voix royal et pour le moins inattendu, que ce soit Eddie Redmayne dans le rôle de Doug ou encore Tom Hiddleston et son pseudo accent français interprétant Lord Noze, leader du peuple de bronze.

Si Cro Man souffre d’un cruel manque d’originalité dans le récit, il n’en reste pas moins un divertissement agréable qui en amusera plus d’un. On peut se montrer un peu déçu face à ce petit dernier dont on se souviendra uniquement grâce à la renommée de son réalisateur. C’est un carton jaune pour Nick Park et Aardman, dont la collaboration n’avait apporté jusqu’ici que succès sur succès. L’heure de la mi-temps a sonné, espérons que la prochaine création de la vedette des studios nous surprenne à grands coups de pâte à modeler et du brin de folie qui caractérise son univers si malicieux et déjanté.


A propos de Jade Vincent

Jeune sorcière attendant toujours sa lettre de Poudlard, Jade se contente pour le moment de la magie du cinéma. Fan absolue de Jurassic Park, Robin Williams et Sono Sion, elle espère pouvoir un jour apporter sa pierre à l'édifice du septième art en tant que scénariste. Les rumeurs prétendent qu'elle voue un culte non assumé aux found-footages, mais chut... Ses spécialités sont le cinéma japonais et asiatique en général.

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