Édite récemment par Le Chat qui Fume, Fair Game de Mario Andreacchio, série B australienne du milieu des années 80, veut se placer dans la droite lignée de glorieux aînées – Mad Max (George Miller, 1979) et Wake in Fright (Ted Kotcheff, 1971) en tête – sans pour autant atteindre leur puissance de frappe. Il n’en reste pas moins un film d’action efficace, fauché mais souvent inspiré, gagnant en subtilité par son beau personnage féminin principal.
Vengeance et Kangourous
De la sueur, des chasseurs de Kangourous, de la bière, des bagnoles dans le désert, et une armada de bestiaux inconnus chez nous, pas de doute possible, Fair Game (Mario Andreacchio, 1986) s’inscrit bien dans l’imaginaire dégénéré qu’on connait du cinéma d’exploitation australien, aussi connu sous le terme d’ozploitation. Impossible donc de ne pas penser au dément Wake in Fright (Ted Kotcheff, 1971) quand ce film-là s’ouvre dans ces mêmes espaces. Il faut pourtant très vite se rendre à l’évidence, l’expérience ne sera pas aussi forte. Toutefois, malgré un budget visiblement microscopique, Andreacchio fait très vite preuve d’une certaine inspiration. Son découpage malin – fait de gros plans inquiétants, d’une science indéniable de la gestion de l’espace quasi-unique et de la mise en lumière de ses décors poisseux – et son montage survolté accrochent très vite notre regard. Les oreilles, elles, seront plus vite fatiguées par une bande originale datée et répétitive, mais nous ne nous attarderons pas trop là-dessus.
Il serait facile de railler l’argument microscopique de cette honnête série B. Pour le dire aussi simplement que l’énonce le scénario, il s’agit de suivre une jeune femme qui en l’absence de son conjoint se fait salement emmerder par trois chasseurs de Kangourous dégénérés. Pourtant, alors qu’on pourrait s’attendre à voir s’installer le récit habituel du rape and revenge – genre dont on trouve évidemment les traces, notamment dans une scène d’humiliation sur le capot d’une voiture particulièrement pénible – très vite les réactions du personnage principal, Jessica, surprennent. Il ne s’agit pas d’en faire comme le veulent les canons de ce genre – souvent idiots – une victime écervelée et apeurée puis à la suite de son viol une sorte de superwoman invincible, mais plutôt de lui donner immédiatement un caractère fort. D’ailleurs, si humiliation atroce il y a, on échappe ici au viol justement.
Jessica – incarnée par Cassandra Delaney, très convaincante – est presque la seule femme de l’arène du long-métrage (à l’exception d’une serveuse qui n’a le droit qu’à deux répliques). Dès le début, elle affiche une opposition ferme à la chasse illégale, et le cinéaste prend soin de l’installer assez longuement dans sa propriété, particulièrement lorsqu’elle s’occupe de ses bêtes. Écologique donc, et tenant immédiatement tête à ses agresseurs, elle surprend et permet de dépasser les côtés trop attendus du scénario. On pourrait redouter que ce caractère bien trempé puisse nuire au danger ressenti par le spectateur. Au contraire, la cruauté des chasseurs, accentuée par leur trognes et expressions grotesques, s’en retrouve décuplée et le récit gagne ainsi en intensité. Avec un personnage aussi émouvant, on peut toutefois regretter l’empreinte abusivement 80’s de la forme – le soleil cramant les séquences de jour, et les nuits étant plus bleues que jamais – non sans charme mais bien connue, ou encore la gratuité de certains rebondissements et la facilité presque inévitable du dénouement. Mais, ici, vous ne serez pas surpris qu’on préfère se souvenir de ces scènes de poursuites découpées avec malice, de la fureur d’une mise en scène généreuse, de la cruauté de l’ensemble et de la puissance de cette mémorable Jessica. Autant qu’elle est une anomalie en tant que femme dans ce monde d’homme, elle incarne une belle singularité dans cette cinéphilie, ce qui n’est pas pour nous déplaire.
L’édition de nos camarades du Chat qui Fume est, comme à leur habitude, très soignée, proposant un master fidèle à la moiteur de la photographie. Même si ce coffret propose, par comparaison aux autres titres sortis par l’éditeur, que peu de bonus, ils demeurent quand même instructifs. On s’appesantira en particulier sur l’entretien avec Eric Peretti, spécialiste en la question, qui offre un complément dense à la vision du long-métrage. Un beau coffret qui rejoint la liste des films de ozploitation déjà édité par le matou…En en souhaitant d’autres.
Pingback: Patrick de Richard Franklin - Critique sur Fais pas Genre !