Paranoiac


Ressorti parmi les autres « cauchemars de la Hammer » de l’éditeur Elephant Films tels que Les Maîtresses de Dracula, Paranoiac (Freddie Francis, 1963) est un pur délire sur le deuil, la famille et la folie. Une œuvre si amusante et inventive qu’elle donne à penser que notre époque est terrifiante de frilosité.

La Demeure des Fous

Dans la famille Ashby, tout est affaire de traumatisme. Les parents sont morts quand leurs enfants n’étaient encore que des minots, et la tante a généreusement accepté de les recueillir et éduquer. Mais bien sûr, cette tante n’est pas un ange, et chacun réagit différemment au traumatisme. L’un des fils se suicide à peine sorti de l’enfance, l’autre devient plus tard alcoolique et décadent, et enfin la seule fille sombre progressivement dans la folie voyant son frère mort partout. Tout cela a lieu dans une grande demeure aristocrate, qui progressivement chute et perd de sa superbe. Le ton est donné, et tout ce que je vous expose là est à peu près raconté en une séquence, qui ne s’excuse jamais d’être trop solennelle, trop explicative, trop balourde : une cérémonie de commémoration de la mort des parents, un prêtre au ton d’outre-tombe, le frère alcoolique à l’orgue, et une apparition du frère défunt plus que jamais fortuite. Dans cette scène tout est dit. A la fois sur l’histoire du film, mais surtout sur son ton : voilà une série B qui ne s’excuse pas d’en être une, qui ne cherche pas à faire semblant de jouer au plus subtil, mais qui fonctionne essentiellement au plaisir coupable. Celui qui vous fait voir très vite les tenants, les aboutissants et les rebondissements de l’intrigue, et qui pourtant agit toujours de manière aussi jouissive.

Le film de Freddie Fisher n’est pas à montrer aux amateurs de la demie mesure, du goût doux-amer, de la subtilité. Alors que le début du récit semble vouloir installer une atmosphère jouant de non-dits entre les personnages, de caractères complexes, très vite le scénario vire vers quelque chose de toujours plus fou, jusqu’au-boutiste et excessif, ce qui n’est pas pour nous déplaire. Cette démesure de série B s’adapte parfaitement aux caractères décrits, tous plus psychotiques les uns que les autres. Certains rebondissements sont moins passionnants que d’autres, quelques-uns allant même jusqu’à faire un peu remplissage (la voiture qui manque de tomber de la falaise, c’est quand même un peu trop), mais l’ensemble est non seulement très amusant, mais en plus beaucoup plus pervers, malsain et curieux qu’il n’en a l’air. Dans sa démesure finale, le long-métrage de Freddie Francis semble travailler finalement quelque chose de beaucoup plus macabre, un inconscient bourgeois obsédé par un culte morbide des cadavres familiaux, et des rapports pas loin d’être incestueux. C’est implicitement le cas dans les regards que se lancent Simon Ashby (génial Oliver Reed et sa très sale gueule) et sa tante Harriet (incarnée par Sheila Burrel), puis beaucoup plus explicitement dans l’histoire d’amour naissante entre Eleanor Ashby (illuminée Janette Scott) et son faux frère revenant (incarné par Alexander Davion et sa tête de benêt) jusqu’à un dernier mouvement sidérant qui met en scène Simon jouant de l’orgue devant le cadavre putride de son frère. Ce final opératique et très explicite dans son imagerie glauque permet au long-métrage de vraiment dépasser son simple statut de film héritier de Psychose (Alfred Hitchcock, 1960). Bien-sûr, rassurez-vous, on ne vous dira pas ici que Paranoiac est à la hauteur et encore moins supérieur au chef-d’œuvre d’Hitchcock. Mais c’est quand même très bien.

Il y a un plaisir coupable à suivre cette série B hyper inventive et ses grosses ficelles de récit, mais le plus intéressant est donc ailleurs, dans ce qui se cache dans ce scénario qui semble partir dans tous les sens. Je dis « cache » et pourtant, c’est tout le contraire parce que ce qu’il y a de particulièrement frappant ici c’est que l’impureté et le malsain sont filmés explicitement. Les personnages sont soit alcooliques, soit escrocs, soit déments, soit manipulateurs, etc. dressant ainsi le portrait d’une famille de fou, évoluant en vase clôt dans une demeure sombre et immense. On ne sort que très peu de l’ambiance angoissante de cette grande bâtisse de l’aristocratie décadente, et les seules échappées sont soit de doux instants vite transformés en cauchemar (un pique-nique bucolique et romantique s’achevant dans une voiture suspendue à une falaise), soit des apartés avec des personnages tous aussi mesquins les uns que les autres (chez un notaire ou accompagné de son fils véreux). Ce qui lie les personnages sentimentalement et sexuellement, c’est l’argent, le sang et la mort.

Quand on a fait ce bilan-là, on peine à croire que Paranoiac soit une commande de studio, et on ne peut que s’interroger. S’interroger d’abord, sur l’état des productions du même genre aujourd’hui en pure terme de qualité de mise en scène et de récit. De par sa mise en scène, la puissance de son imaginaire, le film écrase tout ce qu’on peut voir aujourd’hui qui sortirait de conditions de productions à peu près identiques. Mais c’est surtout thématiquement que cela pose question. Pourquoi aujourd’hui en 2017, ne peut-on plus voir ce genre de cauchemar sur grand écran, tentant de questionner et de filmer les affects et les sentiments les plus sombres de son époque ? Bien sûr, difficile de comparer un système comme celui de Blumhouse et la Hammer, mais Happy Birthdead (Christopher Landon, 2017) me vient en tête (ne me demandez pas pourquoi, c’est comme ça). Pourquoi un film comme celui-ci est-il condamné à une telle médiocrité formelle (même si elle s’avère parfois jouissive, ce n’est pas le problème) et à un tel conformisme dans ses thématiques et son univers visuelle ? Ce que nous apprend Paranoiac c’est que même en plein cœur des studios, la mise en scène de nos cauchemars et de nos angoisses est toujours l’un des lieux privilégiés de la folie et de la confrontation aux instincts les plus morbides, quels que soit les artifices mis en jeu pour faire passer la pilule…


A propos de Pierre-Jean Delvolvé

Scénariste et réalisateur diplômé de la Femis, Pierre-Jean aime autant parler de Jacques Demy que de "2001 l'odyssée de l'espace", d'Eric Rohmer que de "Showgirls" et par-dessus tout faire des rapprochements improbables entre "La Maman et la Putain" et "Mad Max". Par exemple. En plus de développer ses propres films, il trouve ici l'occasion de faire ce genre d'assemblages entre les différents pôles de sa cinéphile un peu hirsute. Ses spécialités variées oscillent entre Paul Verhoeven, John Carpenter, Tobe Hooper et George Miller. Il est aussi le plus sentimental de nos rédacteurs. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/riNSm

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