Noires sont les galaxies


Elephant Films sort, en collaboration avec l’INA, une rareté : la série de SF française Noires sont les galaxies, diffusée en 1981. Eh oui, parce qu’il y a au de la télé SF française, les gars, et qui n’a pas forcément à rougir de ses cousines anglo-saxonnes.

Holocauste interstellaire

Dans l’ensemble, les shows anglo-saxons nous la foutent bien profond, il faut bien le dire. Quand les séries qui marchent le plus dans le paysage audiovisuel français sont Plus belle la vie, Joséphine Ange Gardien, ou Clem, forcément on a tendance à baliser sur l’état télévisuel de notre pays… C’est oublier certaines tentatives foutrement originales (en animation, on va avoir les Shadok, en comédie Platane), voire même reconnue dans le monde entier pour leur qualité comme Les revenants, Emmy Award de la meilleure série internationale, quand même les gars, et série de genre en plus. Canal + essaie de creuser ce filon, de la série française de « qualité », du moins de la série intéressante, avec Braquo et autres Le bureau des légendes, elles aussi séries de genre à part entière (polar pour l’une, fantastique pour l’autre). Donc en fait, c’est peut-être pas tant la dèche que ça, la télé française…Hormis pour la science-fiction. Sur ce point, et les lecteurs me corrigeront si je me trompe, c’est le calme plat. Ce domaine dans lequel pourtant nous avons tout de même influencé le monde (Jules Verne, Pierre Boulle, Barjavel, ça vous dit quelque chose ?) en littérature, est snobé par la petite lucarne, propriété indéboulonnable des anglo-saxons (américains ET anglais). Heureusement, il y eut quelques tentatives et Noires sont les galaxies (1981), éditée en DVD par Elephant Films, en est une dont, à quelques éléments près, nous pouvons être fiers.

Divisée en quatre épisodes d’un peu moins d’une heure, la série suit d’abord Patrick, docteur qui rencontre une bonne meuf Coretta, après l’avoir sauvée des griffes de son patron de cabaret très méchant. Il la saute, et met le doigt dans (pardonnez, l’association d’idées est vraiment involontaire) un engrenage de commerce de cadavres à laquelle Coretta est mêlée, et dont, dans un premier temps il ne perçoit pas les aboutissements…Je préfère vous avertir tout de suite, la science-fiction pure (et encore, on est dans une série française hein, pas dans un space opera ricain) prend plus d’un épisode à arriver en réalité. Le premier épisode prend en effet tout son temps pour poser ses personnages et sa situation…On peut se demander où cela mène, quand on pense voir une série de science-fiction et qu’au bout de 45 minutes, tout ce qu’on a vu d’un peu bizarre ce sont des yeux qui brillent plus chez certaines que chez d’autres. Mais à la vue de la suite de la série, le coup fonctionne : l’intrigue, écrite par Daniel Moosman, est de celles qui se déploient au fil des minutes, et si on peut reprocher quelques outils scénaristiques aisés (la séquence dans la piscine où un des personnages explique juste tout à notre héros Patrick), ainsi qu’un flagrant manque de vie des comédiens, l’ampleur des enjeux devient chaque minute un peu plus grande. De la simple histoire d’Amour personnelle de Patrick lorsqu’il rencontre Coretta, on arrive à un thème à la noirceur glacante que je n’exposerais que peu pour ne pas spoiler, mais qui aborde ni plus ni moins qu’un conflit racial interstellaire entre deux ethnies extra-terrestres toutes deux déportées de leur planète sur la Terre, qui vont s’opposer au prix de l’espèce humaine dont elles prennent possession, corps et âme…

Mélangeant habilement les genres (on commence dans du policier, on termine dans de la science-fiction totale) n’épargnant au spectateur ni image graphique étonnante pour la télévision de l’époque (des plantes qui surgissent et déchirent des corps) ni un pessimisme paranoïaque (en 1981, pile au moment de l’élection de François Mitterrand, c’est étonnant…) fleurant bon la SF des 50’s (L’invasion des profanateurs de sépulture de Don Siegel en tête), Noires sont les galaxies est une très étonnante surprise, audacieuse, et dont la richesse thématique et narrative, ainsi que la réussite formelle (réalisation précise et super bande originale, jazzy expérimentale), n’ont rien à envier à certains trucs anglo-saxons. La série, de par ce qu’elle est, restera hélas dans son carcan de curiosité française des années 80, mais on est très heureux qu’Elephant Films s’associe avec l’INA pour nous la faire découvrir en DVD. Un peu moins heureux de constater l’absence totale de bonus sur la série (toujours les bandes annonces du catalogue Elephant Films, mais aucun supplément sur Noires…à proprement parler), on va dire qu’on peut pas tout avoir !

Mis à jour le 09/07/2018


A propos de Alexandre Santos

En parallèle d'écrire des scénarios et des pièces de théâtre, Alexandre prend aussi la plume pour dire du mal (et du bien parfois) de ce que font les autres. Considérant "Cannibal Holocaust", Annie Girardot et Yasujiro Ozu comme trois des plus beaux cadeaux offerts par les Dieux du Cinéma, il a un certain mal à avoir des goûts cohérents mais suit pour ça un traitement à l'Institut Gérard Jugnot de Jouy-le-Moutiers. Spécialiste des westerns et films noirs des années 50, il peut parfois surprendre son monde en défendant un cinéma "indéfendable" et trash. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/s2uTM

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