Quatrième documentaire de cette édition de l’Etrange Festival, Etre cheval est un objet filmique troublant et émouvant proposant une plongée dans un jeu de rôle érotique appelé pony-play.
Monsieur Ed
Le pony-play, c’est une forme d’expression fétichiste d’une passion, un jeu de domination entre un dresseur et un dressé qui va se métamorphoser pour se comporter tel un cheval. Une autre bizarrerie dans un panel de jeux érotiques déviants diront certains mais qui, sous le regard du réalisateur Jérôme Clément-Wilz, se transforme en une quête initiatique voire quasi-mystique. Le film s’affranchit dès ses premières images des clichés liés à cette pratique. Oubliez une approche frontale de ce sujet et tout jugement sur les adeptes de ce jeu, le réalisateur fait le choix de proposer le portrait de Karen, un transgenre cinquantenaire qui se rend en Floride pour être dressé par le bourru Foxy. Emouvant et jamais complaisant, le film voit non pas la volonté de Karen d’être dominée mais une envie plus profonde où les fantasmes se mêlent à une quête de reconnaissance et de découverte de soi. On observe la recherche d’une forme de communication où les mots n’ont pas leur place mais une pratique qui nécessite un abandon de soi et une confiance inconditionnelle.
Clément-Wilz plonge dans l’intimité d’un être mais aussi d’une pratique pour en extraire la sève et exposer avec bienveillance des personnages assez atypiques, aux personnalités fortes et attachantes qui nous ouvrent les portes de leur univers. Le réalisateur illustre l’évolution psychologique et le parcours physique de Karen au travers d’une caméra portée qui ne lâche pas cette dernière dans une volonté de ne rien manquer de cette évolution mais aussi de scènes oniriques extrêmement esthétiques renforçant le propos du film et dévoilant une autre facette de Karen – la première scène du film, couplée à la musique, rappelle l’incipit de Antichrist (Lars Von Trier, 2009 ). On remarque que le sujet du film n’est pas vraiment le pony-play, le but n’est pas de faire l’historique de cette pratique et d’en montrer un aspect généraliste de cela mais de le faire découvrir de la manière la plus pure avec des adeptes qui sont en quête de liberté et non d’une quelconque forme de satisfaction sexuelle. Karen cherche à se connaître et à se dépasser afin d’atteindre une forme de plénitude et de communion avec un état primal ; un retour à une forme plus pure et plus primitive avec ses envies et son environnement.
Le film est complété par la vision plus mystique de Clément-Wilz. L’expérience de Karen est rattachée à une vision animiste du réalisateur qui y voit une communion avec l’âme de toute chose – en témoigne les nombreux plans magnifiant la nature, les animaux et une discussion avec Foxy sur la nature des choses et l’âme – le tout avec un regard tendre sur un monde qui lui est inconnu. Emouvant, respectueux, étrange, intimiste, mystique ; les adjectifs ne manquent pas pour qualifier Etre cheval. Un documentaire qui offre aux spectateurs la possibilité d’approcher de très près la quête d’une personne pour trouver quelque chose de plus grand qu’elle mais aussi pour atteindre une forme de liberté dans l’abandon de soi dans ses rapports de dominant/dominé.