Après vous avoir parlé de Susie et les Baker Boys, Bugsy Malone et Folie Folie, voici le quatrième et dernier film de la fournée de comédies musicales proposée par Éléphant Films : Rhapsodie en 3 bandes. Un délire au-delà de l’excentrique qui marie le film musical et la grande tradition du cinéma social britannique, réalisé par l’immense Alan Clarke.
Super Snooker
C’est vingt-neuf ans après sa sortie au Royaume-Uni que Rhapsodie en trois bandes est enfin proposé en France. Malgré son titre original, Billy the Kid and the Green Baize Vampire, le film n’est pas un film d’horreur (le titre pourrait renvoyer à Billy the Kid contre Dracula, nanar horrifique de 1966), mais certainement l’un des OVNIs les plus étranges qu’il vous ait été donné de regarder. Le réalisateur qui se cache derrière cette perle rare est Alan Clarke, un nom qui, à première vue, étonne. Clarke était un pilier de la BBC et un cinéaste très engagé dans les problèmes sociaux de son pays et de son époque ; pour la faire courte, Alan Clarke représentait l’anti-thatchérisme le plus virulent, notamment grâce à des films comme Elephant (1988), dont Gus Van Sant s’inspirera quinze ans plus tard pour son film homonyme, ou Made in Britain (1982), une plongée infernale dans l’univers skinhead. La violence et le portrait d’un pays décadent sont les principales motivations du cinéaste Alan Clarke ; on est alors en droit de se demander ce que vient alors faire un film comme Rhapsodie en trois bandes au milieu de sa filmographie…
En réalité, le film a largement sa place parmi les autres œuvres d’Alan Clarke. Rhapsodie en trois bandes raconte l’histoire de Billy (Phil Daniels), un jeune cockney qui possède un don pour le billard, qu’il pratique dans des endroits louches des bas-fonds de Londres. Ce gamin un peu trop bruyant et provocateur attire l’attention du champion Maxwell Randall (Alun Armstrong), un bourgeois ventripotent qui se déguise en vampire, qui le provoque en duel. T.O. (Bruce Payne), le manager de Billy, va alors organiser la compétition que tout le monde attend : Billy the Kid contre Randall, le vampire du tapis vert…
Dès son ouverture, Alan Clarke nous plonge dans un univers à part : plus encore que décalé, le film est aux antipodes de ce qui se faisait à l’époque et de ce qui se fera par la suite. Le cinéaste, qui a, toute sa vie, réalisé des films pour la télévision, donne à cette œuvre de cinéma une allure très théâtrale : décors épurés qui donnent bien souvent une sensation d’irréel (les rencontres entre T.O. et Mr. Mercredi (Don Henderson) ou les plans des voitures), lumières colorées qui évoquent à parts égales l’ultra-kitsch britannique et l’univers underground des tripots clandestins, mouvements de caméra continus et qui suivent souvent un tracé circulaire… On est bien loin du réalisme quasi-documentaire de Scum (1977) ou de Made in Britain, mais Alan Clarke prouve qu’il sait aussi bien délivrer son message dans un univers créé de toutes pièces. En fait, Rhapsodie en trois bandes, malgré ses personnages et ses plans qui pastichent tantôt le cinéma d’horreur, tantôt le film de gangsters, n’a rien à voir avec un Rocky Horror Picture Show (Jim Sherman, 1976) ou un Bugsy Malone (Alan Parker, 1976) : il s’inscrit plutôt dans la continuité de l’œuvre de Dennis Potter, autre homme de télévision britannique et créateur des séries Pennies From Heaven (1978) et The Singing Detective (1986), qui couplait le discours social et le genre musical, et, par extension, le réalisme des situations décrites et l’utilisation non naturelle des artifices (principalement musicaux) propres à l’œuvre audiovisuelle – une technique qui a inspiré Alain Resnais pour plusieurs de ses films depuis les années 1990. L’hybridation de l’apparence totalement artificielle et de la description réaliste des luttes entre classes sociales cachant bien évidemment une diatribe anti-Thatchériste très amère est l’excellente idée creusée par Alan Clarke et le scénariste Trevor Preston pour donner tout son sens à cette œuvre, aussi bizarre que puissante.
D’une manière on ne peut plus évidente, c’est Phil Daniels qui endosse le rôle du jeune trublion Billy. Vous vous souvenez sûrement de l’acteur et chanteur grâce à sa collaboration avec Blur sur le tube Parklife (c’est lui qui chante les couplets et qui conduit la voiture dans le clip) ; après avoir été l’un des jeunes détenus de la maison de correction dans Scum et après avoir été le symbole de la révolution mod dans l’adaptation filmique de Quadrophenia (Franc Roddam, 1979), l’acteur à l’accent cockney à couper au couteau ne pouvait qu’être le meilleur choix d’Alan Clarke pour son Billy the Kid. Il porte une inimitable insolence dans son regard, sa façon de parler, sa démarche, bref, il excelle dans ce rôle de rebelle à la fois malmené par la classe sociale dominante (voir les dix premières minutes de la séquence finale du championnat) et enragé. Bruce Payne, qui interprète ici son manager, est tout aussi excellent, dans un registre plus posé, mais c’est Alun Armstrong qui, face à Daniels, se pose comme le Goliath à battre : immense acteur de théâtre, Armstrong surjoue presque constamment, comme le demande le rôle, et rend le personnage absolument génial ; la scène de la chanson « I Bite Back » est l’un des grands moments du film, avec une mise en scène de théâtre et un regard presque brechtien sur la séquence. La musique, puisqu’on en parle, est signée George Fenton : collaborateur régulier de Ken Loach, Stephen Frears et Richard Attenborough, Fenton s’essaie ici à l’opéra rock avec un talent fou. Le style est sombre et pas forcément aussi excentrique que celui du film, mais la musique prend une multitude de directions assez éloignées les unes des autres, de l’opéra (« I Bite Back ») au rock prog à la The Wall (« Supersonic Sam’s Cosmic Cafe »), jusqu’à lorgner vers la pop des années 1980(« Billy the Kid and the Green Baize Vampire », « Snooker »). La séquence musicale la plus mémorable restera sans doute « Quack Quack », un duel musical entre la classe sociale venue soutenir Billy et lesbourgeois venus soutenir Maxwell Randall : bien que totalement inconnue, la chanson aurait pu être un hymne anti-Thatcher assez génial.
Totalement inédit en France et très mal distribué au Royaume-Uni, Rhapsodie en trois bandes est enfin facilement visible chez nous grâce à l’excellent DVD édité par Éléphant Films. L’image, très joliment restaurée (un atout considérable pour ce film qui joue énormément sur les couleurs et les contrastes) est proposée dans son format original 1.66 4/3, et l’unique piste sonore (en V.O.) est en Dolby Digital 2.0, qui fonctionne très bien sur la musique et les chansons, mais un peu moins sur les dialogues. Côté bonus, on retrouve Jean-Pierre Dionnet pour nous parler longuement et avec passion de ce film (près de quinze minutes), en plus de la piste musicale isolée, des bandes-annonces de la collection et d’une galerie d’images. Une édition simple mais très satisfaisante, qui permet avant tout de découvrir l’un des plus surprenants films britanniques des années 1980 !