Il en aura fallu du temps pour que la série française sorte de sa monotonie, longtemps engluée dans les pâles copies sans âmes des Experts et autres saga de l’été avec Ingrid Chauvin nue. Depuis, bien sûr, Canal+ a pas mal déblayé le terrain en proposant des créations originales qui portent bien leurs noms. Si Arte ne s’était pas spécialement montrée plus timide, la bombe P’tit Quinquin – pour reprendre la formule utilisée en une des Cahiers du Cinéma – dynamite le petit monde télévisuel français avec une mini-série ovniesque au possible, à la lisière de plusieurs genres, et qui malgré ses spécificités déroutantes fut un succès d’audience considérable lors de sa diffusion à l’antenne. Mais alors… ce P’tit Quinquin, est-ce une révolution ou le diable en personne, Carpentier ?
La Bête Humaine
Pour ceux qui nous suivent depuis quelques années, vous savez que Bruno Dumont n’est pas spécialement un réalisateur pour lequel nous avons un amour démesuré. D’une part, parce qu’on ne peut pas réellement dire que la majorité de ses films entre dans notre ligne éditoriale, et d’autre part, parce que, quand ils y rentrent – comme Twentynine Palms (2003) par exemple – on a tendance à ne pas forcément être très émoustillé par l’affaire. Il faut donc avouer que lorsque l’on m’a vendu que Dumont avait fait sensation à Cannes avec un Twin Peaks à la française matinée d’un burlesque ravageur, j’ai cru au canular. C’est finalement avec ma curiosité habituelle que je me suis lancé dans cette enquête déroutante à la lisière de Boulogne-sur- Mer, là où « quand il fait beau, on voit les côtes anglaises. Bon ».
Notre histoire débute quand un petit garçon, fils de fermier, que l’on surnomme dans le village « P’tit Quinquin », découvre avec ses copains un hélicoptère chargé d’extraire une vache morte d’un blockhaus. Déjà sur les lieux, le commandant Van der Weyden accompagné de son fidèle lieutenant Carpentier viennent voir l’ampleur des dégâts et constatent vite que cette découverte est bien plus macabre qu’elle n’y paraît. Une femme démembrée est retrouvée dans la vache. Comme dirait Carpentier dans un élan philosophe : « C’est la bête humaine, mon commandant. C’est du Zola ! ». Dès cet instant, la tranquillité du petit village est bousculée et nos deux true détectives se mettent sur les traces du meurtrier qui pourrait bien être « le diable en personne, Carpentier ! ».
Sur le papier, P’tit Quinquin a tout du projet casse-gueule. Un réalisateur de films dit d’auteur plutôt exigeant – exichiant ça marche aussi – qui affronte pour la première fois la comédie, un casting composé exclusivement d’acteurs non professionnels – des gens du cru, comme les présente Dumont –, en soi tout tient réellement sur un fil et pourrait se casser la gueule à la moindre secousse, et pourtant… l’intelligence de la mise en scène de P’tit Quinquin détonne parce qu’elle joue avec les imprévus – prises ratées, fous rires, regards caméra, comédiens qui oublient leur texte – pour créer un réel style, un burlesque particulier qui emporte tout sur son passage. Avec sa galerie de personnages semblant déambuler dans des cases de bandes dessinées – si le duo de flics fait bien évidemment penser à Dupond et Dupont, on pense aussi plus généralement au ton légèrement décalé et vulgaire de Fluide Glacial, mais à bien des égards encore, à la naïveté enfantine du Petit Nicolas – la série joue sur la distorsion comique d’un quotidien provincial, sans jamais que Dumont (qui est lui-même originaire de la région) ne porte un regard condescendant et caricatural. Même si, il faut bien l’avouer dans un premier temps, l’entreprise peut dérouter et provoquer le malaise – Bruno Dumont se moque-t-il des gens qu’il filme ? –, on est vite forcés de constater qu’à aucun moment ce petit village est montré comme un microcosme déjanté, hors du temps et du monde. Ce n’est pas l’étrangeté du Nord dont il est rendu compte, c’est plutôt le Nord qui est utilisé comme épicentre d’un monde tout entier qui semble régi par de nouvelles règles, celles du burlesque. Le mécanisme est en cela tout à fait semblable à celui de Twin Peaks, une série qui, déjà, usait d’un humour sauvage pour contrebalancer un univers macabre et créer un décalage de ton volontaire.
Malgré son ton résolument bouffon, la série n’est néanmoins pas exempte de moments tendres et mélancoliques. L’histoire d’amour d’Ève et Quinquin bien sûr, mais aussi plus généralement toute la petite aventure autour des enfants qui mènent leur petite vie en marge des événements – cette partie de la série, drôle mais moins loufoque, parfois même un peu méchante et impitoyable comme peuvent l’être les gamins entre eux, a la saveur d’une chanson de Renaud sur la nostalgie de l’enfance – mais aussi et surtout dans son dernier épisode, où le personnage du commandant, désabusé par la tournure des événements, semble lâcher prise, impuissant face au mal qui serait partout et les « regarderait de là haut ». Sa plongée métaphysique et mystique, amuse d’abord car elle s’apparente à une manière habile de se dédouaner de ses responsabilités sans assumer les conséquences de son incompétence, mais s’il on y regarde de plus près, les événements qui frappent la banlieue de Boulogne-sur-Mer dans la série sont décrochés du réalisme et flirtent allègrement avec un mysticisme délirant. Si le commandant porte même « le diable en personne » comme seul responsable de ces atrocités, c’est qu’il est peu commode de découvrir en si peu de temps une vache morte dans un blockhaus, des corps humains découpés en morceaux introduits par le cul de cette dernière, une majorette retrouvée abandonnée morte et dans le plus simple appareil sur la plage comme dans « un tableau de nu flamand avec des grosses femmes à poil » ou une gamine bouffée par des cochons.
La série de meurtre semble singer et moquer les enquêtes peu subtiles des séries de l’été de TF1 – je pense à toutes ces sagas de l’été comme Zodiac et Dolmen que nous regardions tous pour voir Claire Keim ou Ingrid Chauvin se désaper, d’autant plus que les victimes sont là aussi toutes liées par une sombre affaire familiale – tout comme celles de séries américaines stars, des Experts et leurs goûts des analyses – le commandant se prenant un moment pour Gil Grissom proférant la maxime : « Les analyses, c’est les analyses, Carpentier ! Les analyses c’est sacré ! » – ou bien à True Detective, série précédemment citée. À bien des égards, le premier épisode de P’tit Quinquin ressemble à celui qui ouvre l’enquête de True Detective – deux enquêteurs sur une scène de crime particulièrement énigmatique qu’on alloue d’emblée dans les deux cas au « diable en personne » ou à certains de ses fervents admirateurs. Malgré tous ces mécanismes du thriller policier classique, largement surexploités par la série télévisée américaine, la mini-série de Bruno Dumont trouve son étrangeté, aussi, dans l’hybridation coagulée du naturalisme à la française, et du cinéma de genre policier américain. C’est cet entrechoc de deux antipodes qui finit par créer un burlesque atypique et justement unique en son genre.
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